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7 décembre 2014

La Carrière de Suzanne (1963) d'Eric Rohmer

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Ce que j'aime dans La Carrière de Suzanne, c'est surtout la façon qu'a Rohmer de décrire l'ennui ou peut-être plus exactement la déception. Le gars Eric ne cherche jamais à tricher pour tenter de décrire cette folle jeunesse qui ne l'est jamais. Dans un bar : On boit un café ? peut-on lancer d'un air exalté... puis viennent de longues secondes d’un silence plombant comme si on avait pas grand-chose à dire à la personne qui est en face de soi. On sort en boîte ? Et l'on se retrouve avachi sur une table avec des verres vides tristes comme un clown sans maquillage. On va chez machin faire une surboum ? Et l'on se retrouve à danser mollement un slow avec un type ou une fille moches histoire de faire un truc entre deux clopes... Rohmer choisit comme personnage principal - il fait fonction de narrateur - sûrement l'individu le moins intéressant de l'histoire : timide, attaché à un pote fils à papa qui se plaît à jouer les Don Juan de pacotille et qui n'est jamais le dernier pour jouer "les crapules", incapable de se laisser aller, bloqué sur des études pour lesquelles il ne semble même pas doué, ce gars Bertrand est aussi jouasse, passionnant et rieur qu'un fer à repasser en panne. Il voit la vie des autres se dérouler devant ses yeux et ne semble avoir aucune prise sur la sienne. Dépendant de son pote (qu'il estime sans que l'on sache vraiment pourquoi - disons qu'il a tendance à vouloir "agir" alors que le Bertrand subit), se moquant de la collante Suzanne (qu'il dit ne point estimer mais qu'il ne repousse jamais ; cette "cruche moche" à laquelle il se sent sûrement au fond de lui-même si supérieur lui donnera au final une petite "leçon de vie" - on est dans les Contes moraux, hein, rappelons-le tout de même), le Bertrand traîne son mal-être et finira par se l'avouer. Sa vie est petite, sclérosée, étroite. Un fantastique héros rohmérien...

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On trouve déjà en germe dans ce moyen-métrage, le goût du Rohmer pour les flirts, les marivaudages (qui peuvent réussir en une soirée ou péniblement traîner en longueur), cette attirance pour ces lieux parisiens (bar, cave, appart de bourge ou chambre de bonne) où la jeunesse tente de faire la fête (c'est pas vraiment l'ambiance Didier Super... Grande musique classique qui donne envie de se suicider en bouffant tous les mégots du cendrier), et cette mignonne psychologie où l'arroseur finit souvent par être arrosé. Un peu tristoune et gris, certes, mais heureusement on assiste à un final beaucoup plus lumineux et enjoué qui laisse augurer un Rohmer, au besoin, beaucoup plus solaire. Une gentillette petite leçon des débuts.   (Shang - 17/05/14)

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Tout à fait d'accord : une petite chose sans vraie conséquence, mais très attachante et sincère, et peut-être, si on creuse un peu, plus profonde qu'il n'y paraît. Cette Suzanne, potiche qui semble être la victime des jeux sadiens des garçons, l'archétype de la femme soumise des années 60, pourrait bien se montrer plus maline que ça et laisser nos coqs virils ou romantico-niais sur le carreau. Si le héros-narrateur est effectivement l'archétype du garçon rohmérien, mélange d'érudition, de coqueterie et d'ennui, Suzanne dessine déjà les archétypes féminins futurs du gars Eric : elle cache son jeu, et va bientôt mettre à jour l'émancipation de la femme telle que la conçoit la jeunesse moderne de 68. Car, au final du film, c'est elle qui a l'argent, le beau mec et le soleil exotique, alors que ceux qui l'ont utilisée pendant tout le film se retrouvent bien cons avec leurs marivaudages adolescents, leurs fêtes tristes et leur fanfaronnades. Les femmes mènent le jeu dans La Carrière de Suzanne (notez le côté cynique du titre, qui tend à définir le mûrissement et les manipulations sentimentales de la fille comme un taf), alors que tout apparaît exactement comme la norme de l'époque le veut : domination masculine, jeux de séduction sans conséquences, etc. Moral, oui oui, comme l'était déjà, sur un discours un peu parallèle, La Boulangère de Monceau.

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On voit aussi dans le film un côté qu'on retrouve souvent dans les premiers Rohmer : l'admiration pour le garçon grande gueule, celui qui ose. Prenant pour modèle son pote-concurrent Paul Gégauff (on est assez proche du même personnage dans Les Cousins de Chabrol), il n'hésite pas à dresser un portrait de lui-même en jeune mec assez coincé et timide en totale dévotion pour le brillant camarade. Mélange de fascination/détestation, l'ambiguité des sentiments approfondit un peu plus ce film. Et puis, comme le dit Shang, c'est un nouvel exemple de l'amour de Rohmer pour Paris, le nom de ses rues, les détails de son quotidien, etc : énormément de plans "inutiles" nous précisent la disposition des bâtiments entre eux, les nomenclatures, les temps qu'il faut pour se rendre de tel endroit à tel autre, on reconnaît bien là la précision diabolique et obsessionnelle de Rohmer pour la véracité de son contexte. Un film bien intéressant, moi je dis.   (Gols - 07/12/14)

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La carrière de Rohmer :

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