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22 avril 2014

All is Lost de Jeffrey C. Chandor - 2013

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Sans hurler au génie, voilà un film qui fut bien sous-estimé l'an passé, si vous voulez mon avis. Bien sûr, si vous ne voulez y voir qu'un film de survie en milieu hostile, si vous cherchez un documentaire sur la voile, si vous vous attendez à de la vibrante aventure, ou si vous aimez la plastique de Robert Redford, aussi, vous serez un poil déçu. Le film est lent, long, pas glamour pour un rond, et selon les avis compétents (j'ai eu LE spécialiste du noeud marin au téléphone pendant tout le visionnage), c'est aussi vraisemblable que Shang en cyclope. On s'attend, au départ, à voir notre Robert affronter un à un tous les dangers de la mer, de la grosse tempête au dématage, de l'attaque de requins à l'avalage d'eau salée. Il y a tout ça, effectivement, notre gars se ramasse ses baquets d'eau réglementaires en pleine tronche, les maquilleurs imitent le coup de soleil sur la gueule impeccablement ; mais le côté "aventures" est presque déréalisé, ce n'est visiblement pas ça qui intéresse Chandor : il livre sa copie de façon correcte, c'est irréprochable au niveau du cahier des charges, mais c'est comme s'il pensait à autre chose quand il filme les grosses vagues et les écopages fébriles.

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Laissez donc tomber si vous n'avez envie de voir que la surface de la flotte, d'autant qu'au niveau formel, c'est très peu satisfaisant aussi : effets spéciaux particulièrement moches (des transparences de Redford sur une mer de synthèse très mal faite), sens de l'espace dans les chaussettes, musique rare mais péniblement clicheteuse. Seul Redford est convaincant dans la chose : d'une exemplaire sobriété, il fait son taff avec un professionnalisme à l'ancienne, et son visage pourtant figé par la chirurgie esthétique distille avec subtilité les émotions, par minuscules expressions. Il est seul à l'écran du début à la fin, et c'était un challenge de parvenir à lui faire jouer quelque chose au sein de ce gros machin plein de tempêtes et d'avaries en tous genres. Il parvient à lui seul à faire oublier la fadeur de la mise en scène, et on se dit finalement que Chandor a choisi la meilleure option possible : rester sur son acteur et le regarder faire.

ALLISLOST

Alors pourquoi ma satisfaction, me direz-vous ? Eh bien ma foi, il est permis d'avoir une lecture plus subtile de ce film, si vous voulez tout savoir. Prenons comme principe que la scène clé est la première : un container flotte sur une mer étale, et en voix off on entend Redford s'adresser à ses proches : "Je suis désolé, j'ai essayé et j'ai échoué, je suis désolé, all is lost...", etc. Voilà qui a tout l'air d'une lettre d'adieux, voire de suicide. Si on considère alors le reste du métrage comme la lente disparition d'un homme, comme son agonie et son entrée dans la mort, ce voyage catastrophique prend des allures fantomatiques assez prenantes. La traversée de l'océan s'apparente à celle du Styx, et chaque action peut être symbolique d'une étape supplémentaire de son cheminement vers la mort : on se désolidarise d'un container perdu comme on quitte le monde, on capte des bribes d'infos-radio comme on lance un dernier appel, on saute dans un radeau de survie comme on s'accroche au dernier espoir. Sommet de cette ambiance métaphysique : les derniers plans, très abstraits, où on lâche enfin les derniers liens qui nous attachent à la vie, où un cercle de feu lunaire (un canot qui crame, en fait, mais on dirait une planète de science-fiction) sert de but, et où une main à la Michel-Ange vient attraper celle de Redford. Oui, Chandor mène notre gars jusqu'à sa rencontre avec l'Eternel, c'est pas peu d'ambition. L'aspect assez radical du film (un seul acteur, pas de dialogue, pas de psychologie, pas de passé ni d'avenir, juste les faits) ajoute à cette impression qu'on est dans un film métaphysique avant d'être dans un film d'action à la con. Voilà pourquoi je donnerai un satisfecit à ce film loin d'être parfait, qui, comme me le disait mon marin de camarade, aurait pu être un Gravity de la mer mais qui n'est pas assez beau pour l'être, mais qui touche bizarrement au bout du compte.

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Commentaires
P
J.C. Chandor a réalisé en 2014 un magnifique film, "The most violent year", dont vous ne parlez pas dans votre blog. Avec ses trois films, c'est, pour moi, la plus grande révélation du cinéma américain depuis James Gray; son sujet depuis "Margin Call" est la morale individuelle face à l'adversité de la vie sociale. Un très grand film !
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