LIVRE : Extorsion (Shakedown) de James Ellroy - 2014
Pour faire patienter entre deux grosses pavasses, Ellroy daigne nous lâcher parfois de ces petits romans plus ou moins inspirés tirés de ses fonds de tiroir. Ma foi, si tous ses fonds de tiroir ressemblent à Extorsion, il fait bien fait de râcler. Non pas que la chose soit réellement à tomber, mais on retrouve dans cette longue nouvelle tout ce qu'on aime chez Ellroy : la noirceur, le slam, l'humour glauque, les personnages blacks de chez black, l'absence de concessions, et toujours cette écriture tellement sèche qu'elle en devient télégraphique, mais en même temps tellement "fleurie" qu'elle confine à la poésie. Une poésie de caniveau, trash et pleines d'insultes, mais une poésie quand même, bien ancrée dans son contexte (la pègre des années 50 et son argot), urbaine et très musicale. Respects donc au traducteur (Jean-Paul Gratias) qui a dû s'amuser : tout ce texte, racontant les aventures d'un directeur de presse à scandale, est écrit comme une succession de gros titres racoleurs, l'allitération facile et le jeu de mot libidineux servant de mot d'ordre.
Ellroy n'a peur de rien, et fabrique un roman ordurier pratiquant sans ambage la laideur et le trash, marchant certainement sur les traces de Céline pour cette invention d'une langue populaire des bas-fonds. Le personnage, absolument détestable, ne fait rien pour changer la donne et nous rendre le texte aimable : c'est un véritable bad lieutenant, qui part de ses talents de casseur de gueule et de maître chanteur pour devenir le magnat de la presse de caniveau, balançant les pires ragots sur le tout Hollywood (Marilyn, Brando ou Peck auront du mal à s'en remettre). Un personnage réel transcendé par cette musicalité détraquée d'Ellroy, une écriture en staccato, furieuse et ricanante qui marque des points (de suture). Dommage que le roman soit si court et passe comme une comète ; malgré le dégoût qu'il inspire parfois, on aime cette façon de se rouler dans la fange, et de magnifier le personnage le plus monstrueux qui soit. Dommage aussi qu'Ellroy prenne des options parfois si nazes, comme cette décision de raconter ça depuis le Purgatoire où le gars attend son examen de passage, ou cette autre de s'inclure lui-même dans le texte en tant qu'écrivain merdique, effet un peu facile. Cela dit, si vous cherchez une lecture désagréable et âpre (et je sais que vous en cherchez une, ne dites pas non), ce livre est pour vous. J'aime.