Les Aventures fantastiques / L'Invention diabolique (Vynález zkázy) (1958) de Karel Zeman
Eh oui, il nous reste encore des seaux de réalisateurs à découvrir. Jules Verne est immortel, certes, mais grâce aux images de Zeman, l'univers du Jules paraît on ne peut plus vivant. Jules (ré)animé, c'est en quelque sorte ce que ce génie de l'animation tchèque sans grande provision - ou budget si on préfère - nous propose. Mêlant très très habilement décors aux allures de gravures de livres vintage du Jules et personnages réels, machines dessinées, animées et fumantes et vrais petits oiseaux planants, cet art des "montages spéciaux" nous fait retrouver la magie pure de Mélies, la "pureté" des traits et la naïveté des personnages d'une BD comme Tintin, ou encore l'extraordinaire, le fantastique, le rocambolesque, l'inattendu de nos aventures enfantines - comme celles, par exemple, de ces merveilleux fous volant sur leurs drôles de machines voyageant jusqu'aux confins du monde.
Si le scénar est aussi peu fute-fute que celui d'un James Bond (des méchants kidnappent deux scientifiques pour qu'ils réalisent une bombe ; le vieux savant en manque de découverte se prend au jeu de l'invention alors que son jeune assistant résiste et alerte les armées du monde pour stopper ce con de Comte mégalomane), si les personnages manquent parfois terriblement "de relief", de traits (ohoho) de caractères, le design de cette oeuvre de quatre-vingt-minutes entièrement dessinée au crayon de bois - comme disait Pierre Bachelet - fait le reste - pour ne pas dire l'essentiel. Outre ces fabuleuses machines vernesques que Zeman anime (c'est juste pour les allitérations), on se prend au jeu de toutes ces séquences "fantastiques" dont il parsème son récit : ce sous-marin qui torpille avec le bout de son nez un bateau de marchandises, ces plongeurs qui vont dans les fonds marins à la recherche de trésors (les images aquatiques sont à mes yeux les plus réussies - toujours aimé le flou...), ce poulpe géant capable de renverser sur le film tout l'encrier qu'il y avait sur la table de travail (il faut bien repasser avec un stylo à plume sur le crayon de bois...), ces explosions qui font d'énormes booom comme dans un bon vieux Blake et Mortimer, ce château à flanc de volcan (qui ferait passer ceux de Disneyland pour de la guimauve prémâchée) que notre jeune savant intrépide escalade pour se retrouver inopinément dans la chambre d'une belle, ou encore ces messages lancés... au ciel, en dirigeable, qui arrivent miraculeusement entre les mains des personnes concernées.... Totalement confiant en l'inventivité de ses images (enfin j'espère), Zeman livre un film aux dialogues ultra minimalistes et totalement porté par de la "grande musique" comme disait ma grand-mère à moitié sourde. C'est de la bonne vieille science-fiction comme on l'aime (des ciseaux à bouts ronds, de la super glu 3, une boîte à chaussures, beaucoup de créativité et hop c'est parti) et même si l'histoire est un peu niaise, que le style prend un peu le pas sur l'émotion, c'est vrai, on ne va bouder son plaisir tchèque en blanc et noir. Je n'échangerais pas, pour sûr, un Zeman contre dix barils de Cameron avec ses individus tout couillons et bleus comme de la lessive en poudre. (Shang - 18/02/14)
Tout est dit, même sentiment d'émerveillement devant ce cinéma hyper-sincère et artisanal, qui tente de faire s'ébahir petits zé grands à tout prix et y arrive très bien. On se croirait complètement immergé dans un livre de Verne (édition Hetzlel, moi je dis) avec ces décors striés de traits de crayons (marrant, le travail sur les costumes eux-mêmes rayés, mais dans le sens vertical), ces machines fantastiques et ces monstres marins affreux. Zeman ose tout, depuis le vrai poisson d'aquarium grossi jusqu'aux acteurs dirigés dans des gestuelles de marionnettes, inverse les proportions pour fabriquer des trucages vintage parfaits, et se sert des possibilités déjà désuètes du cinéma d'antan pour parler d'un sujet parfaitement en adéquation avec le style : les dangers du progrès quand il est mal utilisé, l'horreur de l'industrialisation et de l'atomique, la menace des machines. C'est sans machine que le gars réalise son film, uniquement avec de l'huile de coude et de l'idée, et c'est très joli. C'est sûrement un poil long, le scénario est effectivement très convenu, mais on ne peut que saluer la prouesse. La plus grande étant peut-être de parvenir à nous faire accepter l'artificialité d'un univers comme étant réel, dans une sorte d'hommage au cinéma tout court : voir du faux, savoir que c'est faux, et y croire quand même. Ça pourrait aussi être la définition de l'enfance et du jeu. (Gols - 22/03/16)