L'Amour d'une Femme (1954) de Jean Grémillon
"- Tu compliques tout..., dit-elle.
- Moi, répond-il outré, mais je ne connais personne de moins compliqué que moi ! Je ne demande que la chose la plus simple : une femme à moi. Et si j'ai des enfants que ma femme soit une mère pour nos enfants. C'est pas le plus beau des métiers ça !
- Ah je ne sais plus, moi. Tu viens de me dire que si j'ai besoin de mon métier pour être heureuse, tu essaierais de t'y habituer. Dans la même minute, j'entends "MA FEMME, MES ENFANTS, MON FOYER". Tu parles comme ton grand-père.
- Ma grand-mère, elle n'était pas docteur, elle était mère de famille. Elle a élevé quatre gosses, c'était sa fierté à elle !"
- Eh bien pour moi, ce n'est pas assez !"
S'il fallait une preuve que les gaziers et les gazelles qui manifestaient dimanche derniers avaient trois trains de retard, rien de mieux que ce petit - et ultime - film de Jean Grémillon qui prouve qu'en 54 il y avait déjà des couillons tellement conservateurs (par rapport à la famille, à l'indépendance des femmes,...) que leur discours était aussi arriéré que celui de leur grands-parents. Eh ben 70 ans plus tard, même constat : certains ont pas évolué d'un iota et ils en sont tellement fiers, qu'ils le manifestent. C'était l'introduction sociétale du mois, Shangols est décidément toujours à la page, même avec ses vieilleries en noir et blanc, qu'on se le dise môssieur.
Le pitch en deux secondes ; Ouessant : Micheline Presle débarque en tant que jeune femme médecin de campagne. Elle fait la rencontre d'une institutrice (Gaby Morlay, ça vous la coupe ça, cette bonne vieille Gaby !) qui a dévoué sa vie (privée) "aux enfants des autres" ; elle voit bien que la Micheline fait les yeux doux à un ingénieur de passage et la met en garde : un travail, c'est plus sûr et plus important qu'un amour de passage. Propos qui ne lui portent pas chance car elle meurt dans la foulée. Micheline assiste à l'enterrement le plus terrible de sa vie ("les gens ne pleuraient même pas" - des dialogues de René Fallet, mon ex-voisin, qui tombent parfois comme des couperets) et se dit qu'elle ne veut pas finir pareil. Seulement voilà, pas de bol, son ingénieur est aussi ouvert que Christine Boutin au fist-fucking. Une femme = gosse = vie au foyer = plus de boulot = eh tu la fermes maintenant. Micheline est toute retournée par le dilemme : passer toute sa vie, seule, à Mohéli - ou à Ouessant, pareil - ou vivre avec un con ? Saura-t-elle lutter et se dire qu'un jour, sa chance viendra, ou craquera-t-elle de peur de mourir sans que l'on vienne jamais verser une larme sur sa tombe ?
L'idée est plutôt bonne et le scénar sans doute plus malin qu'on l'aurait cru au premier abord. Grémillon, sur la forme, nous la joue "ultra-réaliste" : ambiance villageoise (du bar du coin avec le bedeau alcoolo - et comique ohoh - aux messes à l'église où les bigoudènes ressemblent à des cierges qui ne fondront jamais), chant ouvrier vintage, chtites nenfants avec chtites brebis cro mignonnes, opération de sauvetage en mer avec gros seau d'eau dans la tronche et opération chirurgicale filmée franco de port (c'est tellement horrible qu'on dirait presque du Franju, j'exagère à peine - Micheline te fait une opération d'une hernie en direct et c'est tellement visqueux qu'on s'y croirait (peut-être que les spécialistes diront que c'est une hernie de renard, moi je n'y ai vu que du feu et j'ai d'ailleurs dû tourner de l'œil au moins 3 fois)). En un mot comme un cent, c'est du cinéma un peu frontal (enfin surement moins que Nymphomaniac, hein, m'est avis - il est d'ailleurs fort amusant que les deux titres se suivent... sans qu'on se sente forcé à rire non plus) et parfois, aussi, un peu pépère - ça sent un peu la "qualité française" avant l'heure. Mais de la qualité, attention, il y en a, au moins au niveau du discours (eh oui, super contemporain, mon frère, qui l'eut cru ?). 2013, 2014 le Grémillon revient en force !