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22 janvier 2014

LIVRE : Réparer les Vivants de Maylis de Kerangal - 2014

Reparer-les-vivants-de-Maylis-de-Kerangal_298_393Voilà typiquement le genre de livres que j'aborde avec un rictus de mépris, m'attendant à y trouver une de ces innombrables minauderies d'écriture cristalline; eh bien, ma foi, je ressors admiratif de la chose, que Satan me triture pour mes a priori. Maylis de Kerangal, tout en étant fortement ancrée dans le "territoire littéraire français contemporain" (roman choral, sujet éminemment moderne), a une ambition qui n'est plus de ce monde, et réussit un texte virtuose, qui brasse des tonnes de vastes émotions tout en restant fièrement du côté de l'intime.

C'est l'histoire d'un coeur et de sa transplantation d'une poitrine dans une autre. De l'aube à l'aube, on suit le cheminement de cet organe, depuis la mort d'un jeune surfeur dans un accident de voiture jusqu'à la fin de la transplantation le lendemain. Entre temps, on aura croisé une kyrielle de médecins, de chirurgiens, de stagiaires, d'infirmières ; des parents ravagés par le chagrin ; une jeune fille qui a perdu son amour ; une malade en attente et qui se trouve subitement face à la peur, etc etc. Une foule de personnage qui agissent autour de ce petit coeur, comme des flux d'énergies qui seraient directement irrigués par lui. Petits destins à peine creusés, et c'est ça qui en fait la force : la biographie de ces personnages ne va jamais loin, refuse la fresque, se réduit à une anecdote : une fille qui s'est faite baiser derrière une porte cochère, un gars qui achète un oiseau au Maroc, un surfeur qui goûte à l'ivresse de la vague. Pas grand-chose, juste quelques minutes d'une vie, comme si le sang qui sortait du coeur mettait en valeur un petit flash de vie, un tout petit bout d'existence. Mais à travers ces anecdotes anodines, c'est la vie qui bat, et le texte est littéralement imbibé d'énergie, de sentiments, de tout ce qui fait la beauté d'une existence. Réparer les Vivants est une ode à la vie, tout simplement, qui prend la forme d'une vaste Narration quasi-scientifique sur la transplantation cardiaque. Car c'est aussi ça : un documentaire très détaillé sur les gestes des médecins, sur le monde de l'hôpital, sur le dispositif complexe, psychologique, technique, qui accompagne une transplantation d'organes. Ca pourrait être fastidieux, mais la passion avec laquelle Kerangal regarde ça est communicative : on est fasciné par la complexité du processus, par le suspense chronométré de cet acte.

Le texte va ainsi tout droit, alors qu'il contient mille digressions. Même quand on suit, sur quelques pages, le destin d'un des personnages, on ne perd jamais de vue l'urgence de la situation, l'importance et le danger de l'action. Grâce en soit rendue à l'écriture, au style de Kerangal : on a l'impression d'un seul souffle, d'un seul trait, ou plutôt, pour filer la métaphore cardiaque, d'une artère de laquelle partiraient mille veines. Ca évoque parfois Mauvignier, cette précision de la ponctuation qui accélère le rythme ou le ralentit avec maestria, cette façon de brasser un évènement vaste (la transplantation) et une intimité totale dans un même mouvement, sans point. C'est finalement une sensation physique qui s'empare du lecteur : celle d'être au plus près d'un coeur qui bat, et qui par son battement, fait battre pleins d'autres coeurs, celle de suivre un marathon qui laisserait apercevoir des bouts de vie sur le parcours. Vous l'aurez compris : j'ai adoré la chose.

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