Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
11 janvier 2014

LIVRE : La petite Communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon - 2014

7768647169_la-petite-communiste-qui-ne-souriait-jamais-de-lola-lafonAscension et décadence de la petite gymnaste Nadia Comaneci : voilà un livre qui ne me semblait pas vraiment destiné, Shang peut vous parler longuement de mon intérêt tout relatif pour le sport quel qu'il soit. Eh ben, pourtant, ce bouquin-là m'a passionné, peut-être parce que justement il arrive à parler du sport non seulement comme un acte physique, mais surtout comme quelque chose qui a à voir avec la géopolitique, avec la torture et avec la métaphysique. A travers la description détaillée des aventures de la vie de la gymnaste, prodige dès ses plus jeunes années, Lafon parle surtout des modalités de destruction des corps, de ce que c'était que de vivre en Roumanie dans les années 70-89, de la Guerre Froide et de ce qu'un état est capable de faire de ses enfants au nom de son image.

Si l'auteur parvient à retranscrire avec une vraie beauté les prodiges physiques de Comaneci (son "apesanteur", sa façon d'utiliser ses erreurs ou ses accidents pour inventer de nouvelles figures), faisant d'abord de son livre une affaire de corps, elle est encore plus pertinente quand elle élargit son sujet. En s'intéressant par exemple à l'entraîneur Bela, à la fois bourreau (son rythme d'entraînement confine à la perversion) et figure paternelle, archétype de ces soldats du résultat qui sont prêts à tout pour gagner. Sous sa férule, l'enfance de Comenaci est niée, et Lafon est excellente pour montrer comment Bela et le monde entier refusent de voir cette petite fille hermaphrodite devenir une femme. Les rapports très ambigus entre Nadia et Bela sont retracés avec précision et intelligence, constituant la meilleure part du livre. On voit littéralement les images, et Lafon excelle à mettre du suspense dans les grands moments, tournants de vie, compétitions, instants magiques où tout se joue en quelques fractions de seconde, sur un geste.

Le livre parle aussi, bien sûr, de l'utilisation du "corps-Comaneci" par le système et par Ceaucescu, élargissant le débat pour montrer comment cette enfant a pu être façonné par un autre corps, politique celui-là. A travers ce destin hors-norme, on voit se dessiner des enjeux beaucoup plus vastes, occasion pour Lafon de revenir sur les années sombres de la Roumanie, décrivant le quotidien terne de ses habitants très précisément. Surtout, elle invente un contre-point salvateur à ses lignes : un échange de coups de téléphone et de mails (fictifs, mais appuyé par les documents) entre elle et Comaneci, qui là aussi tempère les clichés sur les Pays de l'Est qu'on a tous de ce côté-ci de l'ex-Mur. On y voit apparaître une femme cassée, dont le succès fulgurant et précoce a accouché d'une adulte instable et perdue, tourmentée par son corps de femme et par son passé qui lui a échappé. Tout ça est raconté avec dynamisme, très documenté, et plein de rebondissments : passionnant.

Commentaires
Derniers commentaires