LIVRE : Nue de Jean-Philippe Toussaint - 2013

"Les journées sont toujours affreusement longues et la vie dramatiquement courte"

Il y a de très belles choses dans ce livre de l'ami Toussaint (dont c'est d'ailleurs aujourd'hui la fête... ah si, c'est drôle) qui laissent franchement baba. L'ouverture de ce quatrième (et dernier ?) opus des aventures de Marie est une fois de plus d'anthologie avec cette écharpe d'abeilles en folie (un mannequin habillée tout de miel... mmmmh défile avec cette authentique ruche à ses trousses) qui permet à l'auteur de définir finement et avec humour ce en quoi consiste la création - cette capricieuse petite part de hasard... ou de divin comme disait l'ami Gide. Du miel au chocolat il n'y a qu'un pas que Toussaint franchit avec aisance puisque l'on va retourner sur la fameuse île d'Elbe où une chocolaterie a pris feu... Après une première partie où le narrateur, fouillant dans sa mémoire, semblait une nouvelle fois parti à la recherche de la Marie perdue (petit épisode truculent avec... un ersatz de Marie et un Don Juan de service), on a l'impression avec cet incendie que cet amour entre Marie et le narrateur ne cesse de se consommer, de mourir à petit feu laissant dans l'air un lourd parfum écoeurant de sève de cacao... Comme il est qui plus est question d'errance dans un cimetière, de mort, encore, et qu'un parfum de mystère (un fumet d'intrigue policière), de sombre et mafieux complot plane sur le récit, on se dit que l'on va tout droit vers la catastrophe et donc la rupture définitive... On se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude puisque finalement l'embellie amoureuse finira par poindre. Toussaint livre quelques magnifiques pages sur cette "rupture qui se lézarde" et l'annonciation surprise faite par Marie (Toussaint se faisant également un devoir d'écrire sur l'Annonciation faite à Marie - un passage également très inspiré) permet de sauver sur le fil cet amour qui semblait définitivement réduit en cendres. Une petite pointe d'optimisme dans ce monde de fourbes et des larmes (de joie, de soulagement...) d'une Marie océanique qui viennent se perdre dans la bouche d'un narrateur qui reprend subitement goût à la vie... Malgré quelques légères baisses d'intensité dans le récit - l'arrivée sur l'île d'Elbe où l'humour finaud de l'auteur peine à refaire surface -, Toussaint parvient à nous livrer quelques passages de haut vol et l'on reste souvent coi grâce à la magie de ses longues phrases serpentines finement ciselées. Un livre qui portera Toussaint aux nues... ? Possible.