SERIE : Les Revenants saison 1 - 2012
Osons le mot, mes frères : Les Revenants est une série géniale, et franchement les Américains peuvent commencer à trembler en voyant comment Fabrice Gobert menace leurs bonnes vieilles recettes en implantant dans le genre tout ce qui fait défaut chez eux : la mise en scène, les acteurs et la finesse. Extraordinairement homogène du début à la fin, la série se tient d'un seul bloc, et on n'a jamais l'impression que les auteurs écrivent les épisodes au fur et à mesure. Ici, les scénaristes savent où ils vont depuis le début, et savent comment nous y amener doucement. A cela une raison : il n'y a que très peu d'auteurs pour la saison 1, et qui sont là du début à la fin. Deuxième grande idée de ce côté-là : avoir fait appel à Emmanuel Carrère pour l'écriture. Depuis La Moustache, on connaît l'univers étrange du gusse, et il fait merveille ici. Même si ce n'est pas son projet, on reconnaît immédiatement sa patte.
Inspiré du très beau film de Robin Campillo, il est question dans cette série de morts-vivants qui reviennent envahir une petite ville tranquille de montagnes. Loin de bouffer leurs congénères vivants, ceux-ci ne réclament qu'une chose : reprendre leur existence d'avant, retrouver leur amour intact, leur maman en train de beurrer les tartines. Sans violence, sans bruit, ils s'imposent pourtant avec une conviction qui va déranger les habitants de la ville, qui avaient fait leur deuil et recommencé leur vie. Amant têtu, gamin mutique qui revient chercher son assassin, fillette qui n'a pas grandi, serial-killer qui reprend ses meurtres là où il les avait laissés, tous semblent avoir été choisis pour revenir parmi des vivants bien embarrassés. La grande idée est d'éviter toutes les thématiques du film de zombies, tout en s'imprégnant fortement d'une ambiance fantastique : on pense à Twin Peaks dans cette sorte d'effroi tranquille, on pense à Carpenter dans cette façon de filmer des territoires vastes et vides, on pense à toute une inspiration gothique anglaise. Le film n'oublie pas d'ailleurs d'être très brutal quand il le faut (les agressions dans le tunnel, par exemple), mais le tout n'est jamais putassier ou violent gratuitement.
Surtout il y a là-dedans des acteurs exceptionnels. C'est bien simple, tous sont parfaits (même si Clotilde Hesme est agaçante à la longue avec ses mines de gamine allumée) et rendent leurs personnages à la fois crédibles et attachants. Ma "partie" préférée allant sans conteste au petit revenant Victor qui s'amourache d'une mère légèrement trashy (géniale Céline Sallette). Mais chaque histoire dans l'histoire comporte son lot de rebondissements, de surprises. Le film joue sur les revirements de la trame, certes, mais aussi et surtout sur les revirements psychologiques, parvenant à créer du suspense sur des rapports humains, sur les sentiments. Ces sentiments, dopés par la musique subtile de Mogwai (un petit thème pour chaque personnage, du travail d'orfèvre, discret et envoûtant), explosent d'ailleurs dans les derniers épisodes qui rassemblent tous les personnages en un seul point, un foyer d'accueil légèrement onirique et symbolique dans la montagne.
De toute façon, tout est grand dans Les Revenants, jusques et y compris la mise en scène. Là aussi, le choix de deux réalisateurs seulement pour l'ensemble (Fabrice Gobert et Frédéric Mermoud) est très payant : esthétiquement, tous les épisodes se tiennent, avec une sorte de "charte de réalisation" qui ne se dément jamais : mettre en valeur le splendide et vaste décor de montagne (ce barrage effrayant, brrr), faire apparaître les fantômes dans la douceur et dans un réalisme très français, se concentrer sur les acteurs, prévoir à la fin de chaque épisode une sorte de "montage choral" qui remet à plat l'état psychologique de chacun, et surtout lâcher les rênes dans quelques séquences-clé : le meurtre d'un môme, la fuite de deux personnages dans la forêt, la jalousie morbide d'un flic qui a truffé sa maison de caméras, l'ultime épisode bouleversant (qui répond honnêtement à la plupart des questions, contrairement à certaines (suivez mon regard) qui ne semblent exister que pour préparer une deuxième saison), les débuts d'épisodes en flash-back... La caméra est hyper sensible, les mouvements calculés au millimètre pour doper l'émotion, vraiment du très beau travail (les Américains, encore une fois, devraient en prendre de la graine, qui n'arrivent jamais à trouver une cohérence stylistique sur l'ensemble de la série). Allez, reconnaissons qu'il y a de temps en temps quelques séquences inutiles et pas très crédibles, ok ; mais pour le reste, voilà une série miraculeuse, immédiatement culte et palpitante. C'est bien simple : même le générique est beau.