Le Raid (The Raid) (1954) de Hugo Fregonese
Surprenant western du gars Fregonese avec le caméléon Van Heflin (je parle surtout de son regard en fait) pris entre ses engagements sudistes et les raisons du coeur ; notre homme projette de mettre à sac la petite ville de Saint Albans proche de la frontière : à la tête d'une petite armée sudiste qui a déjà bien morflé, il veut faire acte de résistance et semer le trouble chez les Yankees qui enchaînent ces derniers temps les victoires. Se faisant passer pour un homme d'affaire canadien, il vient s'installer quelques temps dans cette petite ville pour prendre ses repères... Seulement voilà, il y a un hic, voire deux : il ne peut s'empêcher de fondre pour les yeux de la belle Anne Bancroft, jeune veuve de guerre (malheureusement un poil sous-employée...), et noue une véritable complicité avec son intrépide gamin. Difficile à partir de là de trouver une véritable motivation pour mettre la ville à feu et à sang... Le second problème que le Van voit pourtant venir de loin vient de ce con de Lee Marvin (on sent bien déjà que le gars n'a pas une tête à incarner un jour à l'écran Freud ou Einstein... Mais quand il se prend la tête dans la main dans l'église - voilà un modèle de prise de tête par excellence -, il est franchement énorme) qui fait partie de ses hommes de main. Venu également en repérage dans cette petite ville du Vermont, le type est totalement incontrôlable : à force de vouloir casser à tout prix du Yankee, Lee risque bien de foutre en l'air toute l'organisation de cette opération de grande envergure...
Le suspense est relativement palpitant (enfin attention, je m'emballe parfois vite) quant à la mise en place de ce plan sans cesse reporté. Mais ce qui est sans aucun doute le plus passionnant dans l'histoire, ce sont les liens qui se tissent peu à peu entre la Anne et le Van : ce dernier, dont on devine au premier regard qu'il pose sur la douce veuve qu'il va tomber amoureux d'elle, est à l'agonie car la Anne... est indéniablement attirée par lui. Farouchement dédié à sa cause sudiste, Van Heflin sent bien qu'il plie peu à peu des genoux à la fois devant le charme de la donzelle et l'attachement que le gamin a pour lui. Plus il tente de sortir de ce tourbillon sentimental infernal, plus le Van monte dans l'estime de la dame : les circonstances feront même qu'il passera, malgré lui, pour un véritable héros au sein de la ville, juste une poignée d'heures avant l'attaque... Richard Boone, capitaine de la petite troupe de l'armée nordiste en ces lieux, bout, de son côté, furieusement car il avait des vues sur la Bancroft... Peureux et veule (il va jusqu'à avouer à Anne dans un accès de sincérité désespérée qu'il s'est mutilé pour ne jamais avoir à aller au front - une confession suicidaire que la fine Anne sait tout de même apprécier à sa juste valeur : il faut parfois être sacrément courageux pour avouer à ce point ses faiblesses), reconnaissant indéniablement la suprématie de son adversaire (le Van), Boone se conchie... Mais lorsque le Van va passer à l'attaque, toute la donne risque de brusquement changer... Sans vouloir dévoiler le final, disons simplement qu'il y aura un échange de regard affreusement touchant entre la Anne et le Van dans les dernières minutes de jeu. On est véritablement dans les montagnes russes au niveau des sentiments, la Anne passant en un quart de seconde de l'amour à la haine à... ah là là... disons juste qu'il s'agit d'un regard dans la brume qui en dit long - alors même que le Van, affreusement déchiré intérieurement ne veut, ne peut rien lâcher émotionnellement (il sait qu'elle sait... se plaît-on à imaginer...). Chiennerie de guerre civile au mauvais endroit, au mauvais moment... Sans en être raide dingue (sachons raison garder), notre petit coeur ému s'est véritablement réjoui à la vision de ce western cornélien du gars Fregonese porté par un quatuor d'acteurs irréprochables.