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4 août 2013

Barbe bleue (Bluebeard) (1944) d'Edgar G. Ulmer

"The murderer uses his cravate as a garrotte !"

"Every time I painted her, I have to kill her again"

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Il y a tout de même de bonnes choses dans l'oeuvre d'Ulmer, et ce Bluebeard tourné en six jours le confirme. Ambiance parisienne très noire avec cet étrangleur de femmes qui sévit tant et plus et qui jette ses victimes dans la Seine. Dès que John Carradine apparaît (la tête la plus longue et la plus inquiétante du cinéma mondial devant Bela Lugosi), on devine que l'assassin devrait avoir le même air décharné et ce même petit sourire énigmatique... Pile dans le mille Emile, c'est bien le John qui possède en lui cette irrémédiable pulsion de tueur. Le motif de ses crimes, tel qu'il l'expose lui-même à la fin du film, est des plus intéressants (si je puis dire) puisque notre homme, peintre à ses heures, tuerait ses modèles... par pure déception. Je m'explique : la première fois qu'il a peint une jeune femme qu'il avait lui-même trouvée évanouie dans la rue, notre homme, inspiré par le gisant de Jeanne la pucelle, a tenté de retranscrire cette pureté sur sa toile... Recroisant la jeune femme quelques temps plus tard, il s'est rendu compte que la gazelle était une prostipute - bafouant son propre art en un sens... Du coup, il décida de l'étrangler et il ne peut s'empêcher depuis d'en faire autant avec toutes les femmes qui posent pour lui - ouais, les femmes sont décevantes à la longue, vaut mieux les avoir en peinture (si, c'est de l'humour)... Très belle idée aussi que celle où, par un jeu de miroirs, John tente de s'éloigner le plus possible de l'un de ses modèles... Malheureusement, celle-ci prenant mal la pose, il est obligé de s'en approcher pour la beauté de l'art... La suite... Carradine incarne ce troublant meurtrier esthète et charmeur avec une certaine finesse : une voix des plus douces qui attire ses proies et des accès de violence aussi soudains qu'irrépressibles (il faut le voir marcher les deux mains en avant pour se saisir de sa victime ; son regard, lorsqu'il donne le coup de grâce, ferait quant à lui pâlir un mort).

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Ulmer est également capable de trousser, lors de ce merveilleux flash-back dans la dernière partie du film, des séquences dignes des grands films expressionnistes. Passons sur ces cadres de traviole pour s'attacher surtout à ce plan torve avec un lampadaire planté dans le décor de façon aussi incongrue qu'une Tour de Pise. L'effet est forcément automatique : c'est un peu comme s'il l'on pénétrait dans le cerveau bancal de notre personnage principal avec toutes ses distorsions... Particulièrement bien vu, dirais-je, avec un minimum de moyens. On pourrait également relever une certaine propension chez ces femmes qui côtoient le tueur à "jouer un peu trop avec le feu". Si cette pauvre Francine craque rapidement (ne jamais dire, quand on est seul à seul avec un assassin : je sais que vous êtes l'assassin - on s'expose à d'évidents dangers), la chtite Lucille, quasiment certaine que John est bien le fameux Barbe bleue, ne va rien dire aux policiers (une vraie bande de bras cassés, soit dit en passant - normal quand on a un commissaire qui se prend pour Julien Lepers) et se rendra, à bien y réfléchir, dans l'antre du loup de façon relativement suicidaire - les femmes, l'amour et la mort, bah, c'est presque cathare cette histoire si je m'écoutais. Passons... Notons pour clore cette chronique que l'ensemble du casting féminin possède un indéniable charme (Jeanne Parker is Lucille, Teala Loring is Francine and Anne Sterling is Jeannette Le Beau - la modèle prostituée, forcément, celle qui déclenchera tout... (ouais, Le Beau, Ulmer est joueur... Tous les acteurs ont d'ailleurs des noms français qu'ils ont un mal de chien, tous, à prononcer mais c'est l'esprit qui compte)). Tourné dans l'urgence mais avec un indéniable savoir-faire et une vraie intelligence, un film qui vaut le détour (oui, il y a un jeu de mot pour les purs et durs), c'est ça aussi l'Edgar.

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Commentaires
B
Pater, dimitte illis, <br /> <br /> non enim sciunt quid faciunt.
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M
Tu m'enfermes dans une cellule pour 10 ans avec Le Bandit, je me pends dans les 48h. <br /> <br /> Tu m'enfermes dans une cellule pour 10 ans avec Les Désemparés, je réclame une prolongation de peine.
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B
La photo, je dis pas. Elle est belle, la photo. Et la Betta, quand elle se tait, elle est belle aussi. <br /> <br /> C'est maigrichon pour faire un grand film. No ?
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B
Bon. D'accord. Vi. Vi. C'est un chef- d'œuvre fulgurant. Ben, moi, il me fait RI-GO-LER ! Les scènes mélo à la fin (et au milieu), la fuite dans les rochers, scuzi, mais je préfère Gun Crazy dans la catégorie couple en cavale. <br /> <br /> Kess j'y peux ? la Betta St John , elle est maladroite voire mauvaise. Et même Arthur Kennedy qui est si souvent pas mal, là, je le trouve... euh... cabot. <br /> <br /> Un peu fantoches, là. Pour résumer. <br /> <br /> Merci de ton soutien pour Welles. Me sens un peu solitaire, parfois, sur ce coup-là. <br /> <br /> Lourcelles, il dit des trucs intéressant, tiens, sur Citizen K. <br /> <br /> Je l'aime bien, en passant, papy Lourcelles.
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C
Et ton commentaire il est à se flanquer des coups de poing sur les rotules ! Le Bandit est un chef-d'œuvre, un vrai de vrai, de la plus belle eau, comme on en trouve tous les trois mille ans. Ewé. Encore une fois je vais laisser la parole au bon vieux Jacky Lourcelles qui arrive à décortiquer ce bijou dans tout son foisonnement:<br /> <br /> <br /> <br /> « Tout ce que le cinéma peut exprimer se trouve dans ce "petit" film, mi-western, mi-récit d'aventures, à la limpidité et à la richesse de sens confinant au sublime. En vingt-cinq ans de carrière, Ulmer a eu le temps de digérer les influences les plus lointaines et les plus fécondes (le Kammerspiel pour l'expressivité des décors réduits, Murnau pour l'universalité et la densité cosmique du propos). Pressé par les circonstances, il a également cultivé jusqu'au génie son sens de l'économie dramatique et de l'économie tout court. The Naked Dawn représente la somme de son œuvre et en même temps le film est si simple, si accessible qu'il peut lui servir d'introduction. C'est une "morality play" (fabliau à portée morale antérieur à la Renaissance) comme l'auteur les aime, racontant l'histoire d'un jeune homme accablé de défauts mais encore malléable et entrant, grâce à un aîné, sur une voie où il trouvera peut-être le moyen de s'améliorer. Son mentor est un voleur, personnage non respectable par excellence, mais qui a pour lui son expérience et sa lucidité. À l'inverse du jeune homme, il ne se paie pas de mots et de faux semblants. Cela n'est que la trame de l'œuvre qui contient aussi une parabole à plusieurs niveaux et offre une série très riche de variations sur l'errance et la vie sédentaire, la dilapidation et l'accumulation des biens, l'exclusion et la participation, la lucidité et l'hypocrisie, Toute vérité, dans ce récit aux dialogues littéraires et pleins de sens, est nuancée par son contraire. Formellement, le film reflète cette dualité. Pour son deuxième film en couleur, Ulmer confère aux apparences une douceur, une luminosité, une rondeur, une richesse de pâte qu'on a pu dire renoiriennes (voir en effet sa peinture du personnage de Betta St. John). En même temps, à travers le personnage d'Arthur Kennedy, le film distille une mélancolie poignante qui se hausse aisément au tragique. Le talent unique du cinéaste est tout entier contenu dans la première séquence (un aventurier aide son compagnon à entrer dans la mort). Ici l'émotion est à son comble, est déjà une émotion de fin de film, alors que l'histoire commence à peine. »<br /> <br /> <br /> <br /> Eat this ! Voilà, c'était le quart d'heure référentiel de Tonton LeGlaude. Encore une fois je ne dis pas qu'il faut boire les paroles de Lourcelles, loin s'en faut, juste que ça reflète bien ce que j'en pense moué.<br /> <br /> Pour le reste j'aurais plutôt tendance à te rejoindre, Edgar G. Ulmitch. Détour c'est sympatoche et un peu zarbi mais ça s'arrête là, Barbe-Bleue et consorts itou, du cinoche fauché avec de belle fulgurances baroques çà et là mais pas de quoi craquer son slibard non plus. Mais Le Bandit... aaaah, Le Bandit, c'est une autre paire de manches. C'est le bon petit faiseur qui touche (peut-être plus ou moins accidentellement, j'sais pas trop) à l'universel. C'est beau. Revois-le avec les mirettes grandes ouvertes.<br /> <br /> Enfin, pour Welles, raah... tu sais que pour un peu je serais de ton avis. Bon, Kane et Les Amberson c'était du jamais vu en leur temps. Maintenant ça reste encore de sacrés tours de force sur le plan narratif, visuel et toussa. Mais je sais pas... ça manque un peu d'âme, nan ?
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