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16 mai 2013

Les Amants crucifiés (Chikamatsu monogatari) de Kenji Mizoguchi - 1954

chikamatsu
La dernière période de Mizoguchi est décidément pleine de beautés, et ces Amants sont vraiment une merveille à tous points de vue. Il s'agit moins cette fois de la narration d'une déchéance féminine que de celle d'un couple. Au XVIIème siècle, Mohei, brave employé d'une imprimerie, tente de sortir sa maîtresse d'une suite compliquée de dettes familiales. Mais par une suite de malentendus, de secrets non révélés, de liens familieux obscurs et de tromperies d'alcôve, Mohei va être soupçonné d'entretenir une coupable et adultérine relation avec la femme du patron. Le couple est contraint de fuir, poursuivis par les flics, les créanciers, les maris outragés et la vindicte populaire. La punition s'ils sont pris sera la crucifixion, les braves gens n'aimant pas qu'on suive une autre route qu'eux.

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D'abord on est scié par la modernité du scénario. On sait Mizo très moderniste dans sa vision des humains, on le sait très en avance sur les moeurs de son époque. Mais voir ainsi LE sujet tabou (l'adultère) traité avec cette frontalité fait vraiment plaisir. Les personnages, complexes, épais, pleins de contradictions et de refoulés, se distinguent très nettement du cinéma japonais classique, qui a tendance à cantonner (jeu de mot) les êtres à leur statut social. Ici, certes, on sent le poids insoutenable de la hiérarchie, de l'argent, des coutumes, de la famille et du qu'en-dira-t-on, et les êtres subissent une sorte d'annihilation de leur nature à cause du rang social qu'ils sont forcés de représenter ; mais les personnages sont plus que ça, se débattent sous leurs masques, à l'image du mutique Mohei, dont les amours ne seront dévoilées qu'en ultime recours, et dont le courage sera inattendu, tant le personnage nous est d'abord présenté comme falôt et discret. Son honnêteté sans faille (même quand il envisage le temps d'une scène de falsifier un document, c'est pour arrondir les choses, pour rendre la paix à sa patronne) se heurte au portrait terrible que Mizo dresse de la bourgeoisie et du patronnat : tout est mesquinerie, avarice, impitoyable dans ce minuscule monde de l'imprimerie, où on est prêt à piétiner l'autre pour gagner un peu de blé ou accéder à un rang supérieur. L'univers moral est fermé de tous les côtés chez ces gens-là, à l'image des décors de la première partie, cloisons rigides qui séparent les êtres comme des castes, qui servent à cacher les complots et les comportements déviants.

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Heureusement, les gars, l'amour triomphe de tout. A la moitié du film, après une scène proprement somptueuse au milieu des herbes hautes battues par les vents, nos deux desespérés quittent les intérieurs sclérosés pour se lancer sur les routes ; et, malgré la peur, malgré le désespoir, malgré les envies de suicide qui rôdent, l'amour mène ce couple envers et contre tous. D'un romantisme sombre, Mizoguchi filme cet amour au sein d'une nature paradisiaque, eaux endormies des étangs filmées plein cadre et qui envahissent l'écran, et petits chemins de montagne édéniques. Le film s'ouvre à la beauté des choses, un peu comme un haiku : on sait que c'est éphémère, que ça ne durera que queques scènes, que nos amants en fuite vont vite être repris par leurs poursuivants, mais ces minutes d'exaltation amoureuse en milieu rural sauvent toutes les tares des comportements de la première partie. Le rythme magnifiquement allangui vient adoucir les excès des sentiments, et on a droit véritablement à une déclaration d'amour à l'amour en tant qu'émotion fulgurante et vouée à mourir. On comprend alors la sérénité de notre couple d'amoureux lors de cette dernière scène complètement zen. Un spectacle constant et magnifique.

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