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24 avril 2013

LIVRE : Souterrain-Blues (Untertagblues) de Peter Handke - 2003

9782070772100_1_75On pensait Peter Handke depuis longtemps perdu dans ses contradictions politiques douteuses ; c'était mal connaître les ressources de ce maître de la susprise et de l'expérience théâtrale, qui arrive toujours à nous rebalancer à intervalles réguliers un obus formel de derrière ses fagots. Souterrain-Blues, qui vient de paraître en traduction, est une merveille d'insolence, les deux pieds bien enfoncés dans le monde d'aujourd'hui, et qui en dit beaucoup plus long sur la colère sourde de son auteur que tous les pamphlets du monde. Un homme, debout dans un métro qui traverse un ville indéfinie (entre réalité et fantasmes, entre voyage concret et rêve étrange), insulte les autres voyageurs. Point. Pendant vingt stations, sa logorrhée verbal sera sans limite, sa haine envers tout et tout le monde sera intarissable. Tout y passe, dans un jeu de massacre hyper-raffiné qui n'est pas sans rappeler la violence dandy d'un Thomas Bernhard : famille, couple, travail, enfants, culture, mode, politique, tout est littéralement laminé par le verbe très acéré et en même temps très vert de cet inconnu. Ni clochard ni fou, il n'est qu'un miroir ricanant de notre époque, et sa litanie injurieuse n'est jamais démente ni jamais vulgaire : sa colère a l'air très "tenue", comme s'il se plaisait en même temps que nous à cette profusion de formules ravageuses, de mots colorés, de finesse littéraire.

Handke ressucite le sain genre de l'insulte publique, et sa parole (aidée par la somptueuse traduction d'Anne Weber) a rarement été aussi fulgurante. Peu à peu la beauté de ce monologue quitte l'adresse pour se transformer en chant, en "blues" comme le titre l'indique, la musicalité de la parole devenant plus importante que les mots même. Le fait que les voyageurs ne réagissent absolument pas à ces attaques, le fait que les insultes s'adressent indifféremment aux uns et aux autres ajoutent à cet effet : c'est juste l'histoire d'un homme qui prend la parole dans le monde d'aujourd'hui, un de ces gars qui, un jour, débordent et se mettent à parler, pour parler, pour le simple fait de représenter une révolte, et peu importe son sens. C'est poignant et en même temps souvent très drôle, on a envie d'apprendre cette litanie par coeur et de la murmurer face à nos contemporains de misère, c'est supérieurement intelligent (le renversement de situation de la fin, génial), et ça prouve une bonne chose : Handke a encore des mots à dire, et pas les plus doux. Un texte primordial.

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