Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany's) de Blake Edwards - 1961
Je crois que je ne suis pas un très grand fan de Blake Edwards, Dieu me damne, surtout quand il s'attaque comme ici à une de mes icônes, en l'occurence Truman Capote. Je sais bien qu'il est dangereux de comparer le livre et le film dont il est tiré, les deux arts sont différents et forcément incompatibles. Mais tout de même : on dirait que Edwards et ses scénaristes sont passés strictement à côté de la noirceur et du désabusement du roman de Capote, livrant un film certes cool, mais aussi d'une vacuité totale. Aux oubliettes le portrait risqué d'une prostipute droguée passant comme une ombre décharnée au milieu des strasses des années 60 avant de diparaître comme une légende maléfique, et bonjour à la petite Audrey Hepburn et son minois craquant, traversant le film comme une petite princesse aux mille robes. Inutile de préciser que la première version aurait été plus marquante.
Accusons donc le coup, et remarquons quand même que le film est très réussi dans la légèreté : la musique de Mancini, les couleurs éblouissantes, les très suaves mouvements d'une caméra élégantissimes, un scénario tout sucre qui fera fondre le coeur des midinettes, tout y est pour que le grand Hollywood vienne faire un dernier barouf d'honneur avant de s'éteindre totalement. Edwards est excellent dans les scènes de pure énergie, avec notamment une séquence de fête échevelée vraiment jubilatoire. Le style "dandy" propre à Capote trouve dans cette scène sa plus belle illustration, et on sent dans elle seule toute l'amertume que le film voudrait exprimer : la société fait une grande fête sur les ruines d'une Amérique perdue, les excès et les rires hystériques masquant à peine la dépression. Le film est d'ailleurs souvent envahi par un spleen prenant, une mélancolie cachée sous la comédie glamour et les grimaces des acteurs. Hepburn glissant une chansonnette au clair de lune en faisant battre ses cils de faon, c'est une image qu'on retient du coup plus facilement que ses minauderies face à un stock de diamants ou ses allers-retours sentimentaux un peu pénibles. On aurait vraiment aimé que Breakfast at Tiffany's creuse plus cette veine dépressive, aille au bout de son discours, de ses audaces. Mais Edwards semble trop préoccupé par la coolitude pour vraiment oser la noirceur. Les fêlures de son personnage (prostitution, drogue, amour légèrement incestueux pour son frère) sont noyées derrière les ors des tenues Chanel ou Saint-Laurent, sous les couleurs et les décors très étudiés et les scènes de comédie un peu plates (le voisin japonais, interprété par un Mickey Rooney pitoyable, n'arrache jamais un sourire). Du coup, le film est aussi superficiel que le monde qu'il décrit, et devient court en bouche, simplement agréable là où il aurait pu être profond. On rêve de ce que Demy ou Wilder auraient pu en faire, avec une Marilyn Monroe à l'interprétation (c'était le choix judicieux de Capote avant que Hepburn ne rafle la mise), de même qu'on soupire en constatant combien la vision quasi-punk de Capote se dissout dans ce final hyper moraliste et happy-endeux (la victoire de la Cigale sur la Fourmi par K.O.). Tel quel, on regarde la chose amusé, en remarquant que Edwards est vraiment pas manchot dans la mise en scène et la direction d'acteur (en tout cas pour ce qui est de George Peppard), mais un peu frustré tout de même.