LIVRE : Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck - 2012

Premier roman rigoureux et intéressant, qui ne laissera sûrement aucune trace indélébile nulle part, mais qui est suffisamment bien foutu pour mériter le détour. Deck nous raconte façon Chantal Akerman quelques jours de la vie d'une femme d'aujourd'hui, dépessive latente victime d'une rupture douloureuse, et qui va exprimer son malheur par un acte définitif : assassiner son psy. Dès les premières pages, on voit quelle va être l'optique de la chose : raconter sec, simple, éviter la psychologie, relater les gestes sans chercher à expliquer, puisque l'âme humaine, c'est bien connu, est trop complexe pour être expliquée par les mots. Le texte, très "Editions de Minuit", est donc une froide observation des faits et gestes, même les plus étranges (la belle a bientôt pour projet de rencontrer les personnes qui ont vécu avec le psy assassiné), sans plus. Pour ajouter encore à l'impression d'étude scientifique, Deck a l'excellente idée, qui fonctionne très bien, de varier les points de vue sur son personnage, écrivant "je", "tu", "vous", "elle" dans une valse assez précise, se permettant même d'abandonner Viviane pendant quelques pages pour s'intéresser à un autre personnage, qu'elle traite de la même manière. Les médicaments qu'ingurgite Viviane sont peut-être pour beaucoup dans cette impression d'identité en friche, d'alternances entre l'objectivité et la sujectivité, et le texte lui-même semble "sous influence", ce qui n'est pas la moindre de ses qualités : l'écriture et la construction sont volontairement hétérogènes, et pourtant il se dégage de ce style une force étonnante, cohérente, très joliment rythmée. Comme en plus il y a un vrai humour là-dedans, humour absurde, glacial, mais humour quand même, on est tout content d'avoir traversé la route de Viviane Elisabeth Fauville, femme désemparée contemporaine, dépressive ordinaire, une de ces innombrables personnes qu'on croise chaque jour et à qui il suffirait sûrement de mettre un couteau entre les mains pour qu'elle devienne sujet de roman.

Comments

[Gary]

perfettamente d'accordo con questo commento!