Bovines (2012) d’Emmanuel Gras

De la campagne bourbonnaise aux près de Basse-Normandie en passant par le plateau du Larzac, Shangols prend l’air - pur. Drôle d’idée que celle d’Emmanuelle Gras que de s’intéresser à l’animal le plus ingrat par excellence, la vache. Loin des sentiers battus (facile d’attendrir avec un koala, véritable peluche avec des pattes scratch, de faire marrer avec un panda qui se vautre ou de faire sportif avec un kangourou boxeur), Gras, et c’est tout à son honneur, prend la clé des champs. Si la vache regarde les trains qui passent, rares sont devenus ceux qui prennent le temps d’observer les taureaux qui paissent.

A l’ère des films pré-mâchés, le réalisateur nous offre un doc d’une heure qui pourrait tomber des yeux – bovins – du spectateur moyen – ou non - et qui s’avère au contraire un bon moyen de reprendre pied avec la réalité crue, de revenir sur le plancher des vaches. La vache mâche, mâche, mâche mais sinon que savons-nous vraiment  de ce paisible et pacifique animal que l’on ose regarder droit dans les yeux uniquement lorsqu’il s’agit de s’en faire griller une tranche sur un barbecue… ? Po grand-chose. Gras prend le temps de nous livrer des plans campagnards à la beauté picturale intemporelle et de laisser sa caméra tourner le temps qu’il faut pour capter un rien, un tout. La vache prend le temps de tourner sa langue dans sa bouche avant de lâcher un meuh ce qui n’est pas la moindre de ses qualités à l’ère de Twitter.

Qu’il pleuve et la vache de se lever non pas pour se mettre bêtement à l’abri (pas folle, la guêpe, qui sait parfaitement que se mettre sous un arbre est le meilleur moyen de s’attirer les foudres des cieux) mais pour affronter dignement, debout, cette pluie, comme un homme affrontant les éléments sur son navire. Qu’elle accouche et la vache de continuer de vaquer à ses nombreuses occupations (brouter), laissant tomber son sac de veau dans un floc peu ragoutant en plein milieu du pré, avec la même nonchalance et le même regard bovin qu’un Chinois ou un touriste français – au hasard – jette ses ordures en plein milieu d’une rue ou sur une plage. Qu’un sac en plastique vienne envahir son territoire et la vache de venir le flairer pour prouver à l’humanité que c’est une bête curieuse ou d’en avoir peur pour montrer qu’elle aussi elle peut éprouver des émotions, des angoisses, des doutes.

Vaches dans la brume sont aussi photogéniques que gorilles à l’entrée d’une boîte, vaches séparées de l’un des leurs ou de leur veau sont aussi touchantes – meuhant pour le coup comme un veau qui pleure – qu’un Jean-François Coppé auquel on retirerait la présidence de l’UMPré. Vache, aussi sentimentale qu’une foule, qui part paître en troupeau comme une équipe de foot française en footing dans un pré avec le même esprit combattif, exhibant intelligemment son numéro - à l’oreille et non point hypocritement dans le dos -, fière de porter les couleurs du pays, avec toujours un esprit rebelle dans ses rangs qui décide de courir dans un autre sens et avec au final la même efficacité devant les bois. Vache à lait qui allaite sobrement sans se faire de blé, vache à bouse qui profite de ses cinq minutes de gloire pour défier frontalement la caméra, vache qui fait foin de toute herbe, vache qui se fait girafe pour aller saisir du bout la langue la branche d’un pommier, pour l’agiter, pour te gober les pommes sans pépins – au sens de problème bien sûr – comme d’autres les olives sans noyau, à l’heure de l’apéro, sans avoir eu à fournir un effort pré-alable. Vache, tu m’émeus, Gras, cinéaste en herbe, tu nous fais pénétrer dans l'intimité de ces gros mammifères avec art, et j’attends ton prochain opus sur les doriphores avec une impatience larvée. L’amour - du cinéma - est dans les prés.