Les SS frappent la Nuit (Nachts, wenn der Teufel kam) (1957) de Robert Siodmak
Un scénar tortin et implacable à l’image de ces responsables SS qui savent jongler avec des meurtres en série comme un acrobate sur fil : qu’importe qu’une personne soit innocente ou coupable tant qu’elle peut servir les intérêts de hauts gradés voire du Führer. Dit comme cela, l’histoire pourrait paraître un tant soit peu naïve alors qu’elle est magnifiquement tramée : chaque rebondissement dans cette affaire devrait nous rapprocher un peu plus de la vérité et de l’arrestation, du jugement du vrai coupable (l’enquête est menée par un gazier droit dans ses bottes, épris de justice et po vraiment pro-nazi) mais c’est sans compter sur la capacité infernale des SS à manipuler chaque révélation…
Un meurtre est donc commis par une force de la nature, un certain Bruno, qui se pose en spécialiste de l’étranglement – le type a une telle force dans les pouces qu’il pourrait arrêter un poids-lourd lancé à pleine vitesse sur une autoroute. Seulement voilà, le premier corps est retrouvé chez le petit ami de la jeune fille, un glandouillou, membre du parti – un rôle taillé sur mesure pour Jacques Villeret s’il avait été allemand et plus jeune – marié et alcoolo. Les services de police sont d’abord avertis par les responsables de la SS qu’il vaudrait mieux disculper ce petit gradé (cela tombe bien puisqu’il est innocent… Ouais, mais attendez, c’est po fini). C’est ce qu’on pourrait appeler le premier effet kiSS cool. Notre commissaire intègre enquête, ne croit pas une minute à la culpabilité de ce rondouillard moustachu (il lui manque, qui plus est, un pouce et il a les mains toutes molles) et ne tarde pas à se mettre sur la piste d’un tueur en série un peu benêt, assassinant des jeunes femmes toujours de la même façon. Bien que cela ne l’amuse guère, il est encouragé dans son enquête par un SS opportuniste qui voit là un moyen de prouver la nécessité de se débarrasser sans autre forme de procès de ce genre « d’idiot du village » pour justifier la politique « d’épuration » de la race aryenne. C’est le deuxième effet kiSS cool… Notre commissaire n’est pas vraiment jouasse de voir la façon dont on risque de récupérer son enquête mais continue d’interroger le gars qui avoue plus d’une cinquantaine de meurtres – au moins, se dit-il, son arrestation permettra de ne pas faire accuser des innocents… Seulement il va y avoir un troisième effet kiSS cool lorsque tout en haut de l’échelle – Heil Hitler (Siodmak ne se gêne pas d’ailleurs pour tourner en dérision le fameux salut : un HEIL fera s’écrouler tout un plafonnier) -, on se rend compte que ce tueur en série qui agit depuis onze ans fait un peu désordre sous le régime nazi… A partir de là, on se torche du droit, de savoir qui est vraiment coupable ou innocent, il s’agit juste d’étouffer l’affaire, Herr Kommissar.
Parallèlement au ficelage de son récit, Siodmak nous décrit l’atmosphère de toute une époque – chez les petites gens comme chez les plus hauts placés -, parvient à conter une romance toute en finesse – entre le commissaire et une jeune femme blonde qui travaille dans la même branche et donne à chaque personnage une véritable profondeur – qu’il s’agisse de ce tueur pas si idiot qu’il en a l’air (son zèle à se souvenir de ses exploits auprès du commissaire qu’il considère comme un confident) à cette enflure de SS (mouais, pléonasme) qui a d’abord encouragé l’enquêteur avant de faire preuve d’une mauvaise foi abyssale (je suis battu sur ce point, j’avoue…). Sachant jouer des ombres (le visage de l’assassin lors du premier meurtre) comme de la lumière (le visage du président du tribunal qui décide malgré les ordres de sauver un innocent), manipulant avec aisance la caméra à bon escient (la reconstitution dans la forêt de l’un des nombreux meurtres de Bruno), Siodmak livre là, disons-le sobrement, un excellent film transgenre – film de guerre + film policier avec un soupçon d’amourette.