Du Sang dans le Désert (The Tin Star) (1957) d'Anthony Mann
Anthony Mann est vraiment un grand et le prouve une nouvelle fois avec ce western magistralement maîtrisé de bout en bout. Dès les premières images qui défilent dans un silence de mort, eastwoodiennes tenterais-je, de cet homme qui traverse une ville, un cadavre sur un cheval, attirant tous les habitants de la ville sur son passage, on est totalement happé : the Man is Henry Fonda, la cinquantaine bien marquée, un Henry qui débarque - le bruit des étriers, magnifique - dans le bureau d'un tout jeune shérif qui donne l'impression d'être un jeune veau qu'on vient tout juste d'enlever à sa mère ; Anthony Perkins, douze ans, encore loin du personnage de Norman Bates (seulement trois ans plus tard, quand on y songe), fait le mariole dans son bureau avec ses flingues comme s'il avait trop lu Lucky Luke. Un homme d'expérience qui a morflé, un chasseur de prime vu automatiquement d'un sale œil dans cette petite ville tranquille et un shérif aux allures de bras cassés dont l'étoile sur le veston brille apparemment plus que ses compétences. Les deux hommes s'allieront contre toute attente, l'un faisant profiter à l'autre de sa vista, de sa sagesse, de son habileté... Une alliance bienvenue pour éviter que trop de sang ne coule dans le désert.
Le récit est prenant à tous les niveaux : qu'il s'agisse de cette amitié qui finit par lier les deux hommes, du flirt entre Fonda et cette femme avec enfant qui l'accueille, de ce combat fordien du shérif Perkins, épaulé par Fonda, contre une foule en colère, les différentes lignes narratives s'imbriquent les unes dans les autres avec une maestria déconcertante. Fonda impose en douceur sa philosophie (tolérance, tempérance, justice) non seulement à ce jeune blanc-bec qui ne demande qu'à apprendre mais aussi à cette ville (d'un côté les "bourgeois" méfiants et inaptes, de l'autre des individus facilement influençables par l'un des hommes forts du lieu, Bogardus (Neville Brand, la tronche de l'emploi)) à deux doigts de déraper dans la violence.
Mann se montre aussi à l'aise dans la gestion des silences (les scènes de pure observation entre deux clans), des séquences d'action (cette meute qui part aux trousses (en pure perte) de deux malfrats et la séquence "high sierraènne" du débusquage des deux hommes par Fonda), dans l'emploi micro-dosé des travellings avant (le gamin qui s'approche de la ferme en feu, Perkins qui s'approche sur la fin de Bogardus : franchement du grand art), dans sa maîtrise des plans d'ensembles, des plans américains et son utilisation des champs-contre-champs, dans la direction des acteurs (Fonda est fondant, Perkins parkinsonien dans sa fébrilité, Van Cleef (l'un des "malfrats") fait rien mais fout forcément la trouille). C'est simplement propre (sublime noir et blanc qui plus est), carré, efficace. Un tin movie pointu comme une étoile. Mann is my man.