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2 mai 2012

Morgen de Marian Crisan - 2011

FILM_Morgen

Joli moment que ce film hongro-roumain débarqué d'on ne sait où, dont on ne sait pas trop si on doit admirer d'abord la belle rigueur formelle ou le ton doucement absurde pour parler d'un sujet grave. Les deux tendances sont également réussies, bravo. En gros, il est question des avantages et inconvénients de la communauté européenne étendue, vue par le plus petit bout de la lorgnette qui soit : un pauvre vigile installé à la frontière entre Hongrie et Roumanie récupère malgré lui un Turc clandestin qui cherche à gagner l'Europe riche. Les deux gars, aussi paumés l'un que l'autre, vont développer une certaine amitié, envers et contre tout. Bon. Le sujet commence à être éculé, mais Crisan parvient à le renouveler sainement en usant de deux partis pris précis : formellement d'abord, le film a tout d'un de ces essais radicaux que pourraient filmer les Dardenne, et qui sont presque devenu le sine-qua non du cinéma roumain. Plans-séquences très longs, qui privilégient souvent les temps morts à l'action elle-même, qui laissent souvent hors-champs les motifs principaux, qui tiennent froidement à distance le spectateur, qui flirtent avec l'immobilité et le minuscule. Ça paraît attendu, mais ça marche très bien : la miteuse campagne est rendue dans toute sa pauvreté (quelques plans kiarostamiens sur les petits chemins zigzagants), la profondeur de champ bellement utilisée (le match de foot qui dégénère, vu depuis les tribunes), et on garde longtemps en tête ces innombrables travellings avant à distance qui suivent le héros sur son side-car pourri.

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Deuxième parti-pris qui fonctionne, et qui est d'ailleurs lié au premier : l'humour. Humour d'autant plus insaisissable que rien n'est drôle là-dedans. Ce sont simplement des postures, des façons de s'arrêter un peu plus longtemps que nécessaire sur une expression, d'aller fouiller dans une sorte d'absurde à cheval entre Kafka et Tati. La première scène est particulièrement symptomatique de ce ton mystérieusement drôle : notre gars se pointe à la frontière avec un poisson vivant qu'il a pêché, les douaniers lui interdisent de passer avec la bête, et le gars pose son poisson sur le trottoir et repart, la caméra restant sur l'animal qui se tortille devant la cabane des douaniers, mourant à petit feu. Humour froid, on a dit. Et puis ce sont surtout ces petites touches d'humanité qui existent entre les deux personnages, qui ne parlent pas la même langue mais essayent de survivre au milieu de la mondialisation et de l'ouverture (théorique) des frontières. Le petit Turc adopte peu à peu les mêmes gestes que son "sauveur", complètement perdu et malheureux devant l'impossibilité de son rêve (gagner l'Allemagne). Silence et immobilité, longueur des plans et froideur d'ensemble sont de mise, et pourtant on sourit, c'est quand même pas mal. Et puis le fond politique n'est pas dénué d'intérêt, ce qui est encore un plus. Bien aimé par exemple cette critique acide du système policier, au courant de tout, et qui se débarrasse des problèmes en les déplaçant loin de sa vue. Bon, il est vrai que, d'un autre côté, Crisan est parfois victime de ses bonnes intentions, et charge quelque peu la mule à plusieurs moments (la femme acariâtre est trop, le Turc est si candide qu'il passe peu à peu pour un quasi-débile) ; il est vrai aussi que son scénario ne décolle jamais vraiment, et que sa fin est un peu bâclée vu le rythme exigent qu'il nous a imposé pour en arriver là. Mais tout de même : voilà encore un signe de bonne santé du cinoche roumain.

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