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21 avril 2012

LIVRE : Quelque Chose de l'ordre de l'espèce de Guillaume Lebrun - 2011

lebrunJ'avais été impressionné, il y a quelques jours, par le deuxième livre de Lebrun ; je suis dans le même sentiment à la lecture de son premier. Ce jeune gars est décidément intéressant, dirais-je d'un ton supérieur pour cacher la sincère admiration que j'ai devant son absence de concession, sa sincérité et sa radicalité. Il est encore question ici du père, et des rapports du fils (Simon) et de sa mère avec celui-ci. Un père-monstre, brutal, violent, austère, et surtout d'un antisémitisme crasse qui le pousse, un soir, à mettre toute sa famille dans sa voiture et à aller écraser un Juif. Acte traumatique originel qui forge toute la terreur de ce livre : il va s'agir d'exorciser ce trauma d'enfance par l'écriture, en tentant de comprendre mais surtout de "mettre en prose" cet indicible qui tarabuste notre garçon. Cela passera par une expérimentation formelle vraiment audacieuse : le livre est découpé en trois parties distinctes, chacune dans un style différent, laissant la voix tour à tour au fils et à la mère, histoire de balancer insultes, règlements de compte et cris de douleur en toute liberté. De la poésie contemporaine à l'auto-fiction, du monologue théâtral heurté au pamphlet, Lebrun réalise une nouvelle fois un objet insaisissable, dont le sujet, beaucoup plus que l'adresse haineuse au paternel, est l'écriture, l'impossibilité de dire, de pardonner et de guérir d'une enfance malheureuse.

Quelque Chose de l'ordre de l'espèce a encore beaucoup de défauts de "jeune auteur", surtout dans ses premières pages. La première voix, trop crâneuse, trop savante, rebute d'abord. On dirait que Lebrun cherche à épater la galerie, usant à tout prix de mots sophistiqués qui ne font que rarement sens ou musique. Ce n'est qu'à la longue, patiemment, que cette première litanie solennelle vous gagne, que s'y dégagent un sens du rythme et une noirceur totale qui fonctionnent. Mais c'est surtout avec l'arrivée de cette deuxième voix (la mère) qu'on ressent l'amplitude de ce hurlement qu'on a sous les yeux : violente, merveilleusement balancée, la diatribe démente donne un souffle énorme à l'ensemble, peut-être parce que Lebrun y fait preuve de plus de modestie, acceptant une langue un peu plus quotidienne, un peu moins littéraire. Quand on arrive au dernier tiers, on est conquis : la poésie trash s'y déploie dès lors avec une belle fulgurance, la mise en page ayant presque autant d'importance que les mots eux-mêmes, et le silence (vrai personnage principal de ce bouquin plein de mots) envahit peu à peu l'ensemble, et visuellement et dans la "trame" (merveilleuse conclusion, qui vous laisse cloué). C'est douloureux de voir ainsi une parole se confisquer elle-même, de voir ainsi la littérature mise au service d'un malheur qui n'a qu'elle pour s'exprimer ; mais ça donne aussi un livre-installation passionnant, nouvelle preuve que Guillaume Lebrun pourrait bien être le fils de Philippe Malone qu'on attendait tous (non ? vous ne l'attendiez pas ? ah...)

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