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Shangols
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7 juillet 2015

LIVRE : Karoo de Steve Tesich - 1998

Karoo-Steve-TesichLes éditions "Monsieur Toussaint Louverture" ont le chic pour découvrir des textes précieux et inconnus (et pour les habiller d'un magnifique design à la fois artisanal et super-hype) ; c'est à nouveau le cas avec ce mystérieux Karoo, qui ne peut que ravir l'amateur de romans américains déviants, école Easton Ellis, Fante ou Rhinehart. C'est le genre de bouquin qui vous attrape dès les premières pages, grâce à un personnage principal fort et une situation intrigante, et ne vous lâche plus tant qu'il n'a pas été au bout du bout de sa logique. Cette fois, c'est l'histoire d'un gars qui réécrit des scenarii que les producteurs estiment ratés, et qui tombe un jour sur un film dans lequel il découvre la vraie mère de son fils adopté ; sa soif obsessionnelle de reconstituer une famille va virer à l'expérience infernale, le gars s'enfonçant de plus en plus dans le grand n'importe quoi intime, "fictionnant" sa vie comme s'il s'agissait d'un nouveau scénario à corriger sans se rendre compte qu'il se raye lui-même de la vie. Sujet ample et grave, traité avec ce qu'il faut de lyrisme (la deuxième moitié du livre) et de noirceur, mais traitée aussi avec un humour sarcastique très efficace : la première moitié du texte est un exemple d'humour noir, cynique, ironique, qui nous montre le héros en proie à ses hantises (l'intimité, la société et cette incapacité totale à être saoul quelle que soit la quantité d'alcool absorbée, l'enfer). C'est vraiment ce que le livre a de meilleur, même si tant de cynisme finit par être un peu effrayant. Karoo, et donc Tesich avec lui, est désabusé absolument sur tout, le cinéma, la paternité, l'amour, les fêtes, Hollywood, l'amitié, les rapports humains et le gin-tonic ; ça donne un feu d'artifices de formules ravageuses, de situations impossibles commentées à la première personne par un héros revenu de tout. On applaudit à ces aphorismes franchement politiquement incorrect, qui piétinent tout ce que la société a de sacro-saint.

Ensuite, et malgré le fait que la trame continue à être passionnante, Tesich perd un peu de son mordant, et tombe carrément dans un certain flou stylistique. L'humour est quasiment abandonné au profit d'une fouille psychologique un peu longuette (d'autant qu'on est très en avance sur le personnage, ayant deviné bien avant lui les tenants et les aboutissants du bazar). C'est fin, juste, crédible, certes, mais aussi un peu plus laborieux dans l'écriture. Ensuite, après le drame que je vous laisse découvrir, et alors que le roman passe à la troisième personne (urûn peu artificiel, comme procédé), le lyrisme arrive, qui n'exclue pas une certaine emphase (le dernier chapitre), et on regrette vraiment la noirceur hilarante des 300 premières pages. Trop hétérogène pour vraiment convaincre, quoi, un peu comme s'il y avait trois romans en un (mais un seul serait vraiment bon), un peu comme si Tesich avait laissé tomber en cours de route pour démarrer autre chose. Bon, tant pis : on se régale quand même à de nombreuses reprises, et on découvre un nouvel auteur d'une évidente originalité. A lire, oui. (Gols 03/04/12)


 karoo-440801L'histoire d'un type alcoolique qui n'arrive plus à être ivre, voilà forcément un sujet qui touche - je dis ça, je dis rien. Il y a en effet dès les premières pages un cynisme pur et dur en action qui fait feu de tout bois et broie en quelques chapitres toute idée d'american dream : une femme trop belle, trop riche, un fils adoptif trop attaché à ses parents, des soirées alcoolisées où l'on aimerait à s'enliser... tout cela l'ami Tesich en fait un feu de paille allant à brûler jusqu'à l'aiguille : à quoi bon tout ce fatras quand on a perdu jusqu'à l'ivresse de vivre. On ricane intérieurement en regardant le ciel bleu et les zébus qui passent nonchalamment devant le portail. Notre homme aime à se définir comme un écrivaillon mais son sens de la formule, des dialogues, du rythme nous emporte fièvreusement, jusqu'à la lie. C'est quand notre homme croit toucher le fond (il doit bousiller le chef-d'oeuvre d'un cinéaste reconnu) qu'il commence à se raccrocher doucement à des bribes d'espoir : une femme qu'il sort de la panade, une femme qui se fait aimante, un fils avec lequel il se reconnecte... Il reprend goût à la vie, notre homme, au prix d'un sacrifice moral terrible (bousiller une oeuvre d'art), certes, mais qui lui fait entrevoir un soupçon de bonheur terrestre... Seulement la malédiction de cet "artiste qui se nie" est telle que les dieux vengeurs sauront une nouvelle fois broyer cette existence qui reposait sur du sable mouvant. Portrait d'une industrie du cinéma pourrie jusqu'à la moelle, d'une société usée jusqu'à l'os, Tesich semble épuiser le moindre filon pour dresser le portrait d'une Amérique guère reluisante, décadente, perdue. Un grand roman ? Oui. Qui vaudra à son propre auteur de s'y dissoudre. Pour que le sable de vos vacances ait un goût amer - l'amertume valant toujours mieux que le vide intersidéral (la dernière envolée ulyssienne du roman se révélant une odyssée à elle seule). (Shang 07/07/15)    

Commentaires
M
chouette , cette critique à deux voix ;-)
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