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6 mars 2012

LIVRE : Les Vagabonds de la Faim (Waiting for Nothing) de Tom Kromer - 1935

9782020505628C'est un miracle de découvrir encore des écrivains américains pouvant rivaliser avec mes idoles Bukowski, Fante ou London. Tom Kromer est de ce niveau-là, tant au niveau du style que du sujet. Les Vagabonds de la Faim est une promenade en enfer, en l’occurrence celui des clodos dans les années 30, époque post-krach que Kromer décrit par le plus petit bout de la lorgnette qui soit : nous voici tout en bas de l'échelle sociale, celle des gusses qui dorment dans le froid et la crasse ultimes, qui mangent le fond des poubelles et copinent avec les rats avant de crever seul sur une couche de foyer misérable. Kromer est un vrai, un de ceux qui ont vécu les choses avant de les raconter, et ce statut fait toute la force du livre ; on sent que ce qu'il raconte est véridique, alors qu'il y a franchement des détails qui vous soulèvent le cœur. Sans fioritures, sans se cacher derrière ses doigts, sans chercher même à plaire, le gars nous raconte ce quotidien insupportable, prostitution, vols, mendicité, mépris des flics, expédients minables, agonies diverses et variées, misère morale. Il y a des chapitres qui sidèrent par leur crudité, comme ce passage où notre "héros" couche avec un riche homo simplement pour avoir un peu de fric, ou cette description de la mort d'un clodo solitaire sur un coin de couche moisie, ou ces relations des façons de prendre des trains au vol, quitte à y perdre une jambe au passage. Certains autres sont presque métaphysiques, comme ce moment extraordinaire où deux clodos s'observent dans le noir d'un wagon. Même la dédicace sent la misère : "A Jolene, qui a fermé le gaz", n'en jetez plus. On en prend plein notre bonne conscience, et même si ce texte a 80 ans, on ne peut s'empêcher de faire le lien avec notre monde contemporain.

Et puis il y a l'écriture même de Kromer, extraordinaire. On sait que les Américains ont compris, depuis Hemingway, que la simplicité valait mieux que la complexité. On est dans l'épure la plus totale avec Les Vagabonds de la Faim. Sujet-verbe-complément, Kromer n'en a clairement rien à foutre des figures littéraires. Il raconte comme c'est, point. La sécheresse des phrases finit par leur conférer un rythme superbe (gloire à la traduction d'époque de Roussy de Sales), un tempo jazz d'autant plus fort qu'on sent qu'il n'est pas dû au labeur. Kromer ne cherche pas à être écrivain, il cherche à témoigner, et on le sent peu avide de passer à la postérité. Ce grand frère de Bukowski a ce même sens de la phrase qui percute, du petit détail qui tue. Cette simplicité (si difficile à trouver) met en valeur les passages plus "écrits" qui jalonnent le livre, oratorios pour les sans-grade, cris de désespoir violents, vrais passages dépressifs et nihilistes aussi punks que du Burroughs, aussi ricanants que du Fante, aussi humanistes que du London. Une vraie belle découverte, pour ce livre qui restera le seul de son auteur.

Commentaires
G
Oui oui, le Orwell est super. Et il a aussi, de Jack London, Les Vagabonds du Rail, glaçant itou. Très content de vous avoir fait découvrir ce livre, Omsk, on est maintenant deux à pouvoir le conseiller autour de nous.
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O
Effectivement, très grand livre. C'est dur (on en est à mille lieux, dans notre univers de confort absolu) et logiquement donc très poignant. Peu d'air là-dedans, on est pris à la gorge tant l'univers est noir et les portes de sortie peu nombreuses. Le seul moment un brin comique est celui où Madame Carter entre dans la danse.<br /> <br /> <br /> <br /> Sur un registre proche (notamment sur l'aspect missions), vous avez "Dans la dèche à Paris et à Londres" d'Orwell qui est très bien. Ceci dit, pour le moral, il est peut être bon de faire un léger break.
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G
Ah oui, allez-y franco, mon bon Omsk, si vous aimez ce genre de littérature brute de décoffrage. Lisez Fante ET Kromer, rassurez-vous : ce sont des livres plutôt courts.
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O
Ah merde, encore un livre qui a l'air excellent. Et citer Hank et son père spirituel Fante (qu'il faudrait que j'attaque) n'est en rien pour me déplaire. Au contraire.
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