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18 décembre 2011

La Piel que habito de Pedro Almodovar - 2011

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On n'est de façon générale pas très tendre avec le Pedro sur ce blog. Mais s'il est capable, de temps en temps, de nous donner un film comme La Piel que habito, je veux bien lui pardonner le léger ennui que son cinéma m'inspire le plus souvent. Le compère prend de vrais risques avec ce film, et s'il est loin d'éviter tous les écueils (esthétisme à tout crin, flou de certains personnages, excès mélo, retours de kitscheries un peu fatigantes), il réussit un sombre essai sur le pardon, la possession et le choc des cultures, qu'on n'attendait pas de sa part.

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La trame est totalement rocambolesque et improbable, ce qui et plutôt un bon point pour ce film : ça permet de ne pas trop s'accrocher à l'intrigue policière, à ne pas attendre trop du suspense, pour se concentrer plutôt sur l'essentiel, à savoir les personnages et leurs douleurs profondes. Même si le film s'appuie sur une intrigue de polar (c'est adapté de Jonquet), le pitch drague plus les petits sentiers du fantastique à la Tourneur : un chirurgien enferme chez lui une créature parfaite, pour tenter de lui redonner les traits de sa femme suicidée ; à moins que cette femme "reconstituée" ait un rapport avec la mort de sa fille violée... Bref, je ne vais pas dévoiler les coups de théâtre qui, même s'ils laissent franchement dubitatif, font aussi partie du plaisir de la chose. Cette variation sur le mythe de Frankenstein, qui s'appuie donc sur des ambiances gothiques du meilleur effet (on pense aussi au Chat noir de Ulmer dans le savant agencement de la maison du chirurgien) se double d'un portrait très trouble d'une déviance psycholoico-sexuelle : il s'agit de "reconstituer" un viol, pour ainsi dire, ou plutôt de se créer les moyens de sa propre perversion. Freud aurait adoré la complexité du personnage de Banderas, à la fois homme amoureux éperdu de malheur, manipulateur pervers en quête de déchéance et vengeur masqué. On voit bien qu'il s'agit là d'un Almodovar, avec ses éternelles thématiques de trans-sexualité, de domination par le sexe, de péché originel, et toute cette panoplie. Il y a en plus une discrète mais intéressante confrontation entre deux styles, deux cultures, deux cinémas finalement qui s'affrontent souvent chez ce cinéaste : le classicisme (Banderas) opposé à la jeunesse (Anaya), la maîtrise de soi opposée à la fougue.

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Mais ici, le style est très froid, ouaté, presque doux, loin des excentricités qui ont fait leur temps dans son cinéma (mis à part le personnage du fils qui revient déguisé en tigre, et qui donne quelques scènes kitsch et ratées stylistiquement dont on se serait bien passé, malgré le côté sulfureux qu'elles apportent subitement). Tout se fait dans une élégance étouffante, sans cri et sans vrai climax, même si l'émotion affleure toujours sous les blancs et les gris du décor (les plans déjà faits par Almodovar lui-même où Banderas contemple sa créature sur un écran géant, zoomant sur ses formes ou sur son regard, la musique très sentimentale de Alberto Iglesias, le côté très "conte de fées" de la scène du viol). Banderas est une surface opaque, et joue très bien le côté glacial de son personnage ; et la plastique effrayante de perfection d'Elena Anaya joue aussi en faveur de cette impression de surface cachant les pires tourments. Intéressante idée, dans ce sens, d'avoir opposé à ce couple "de synthèse" le personnage le plus sanguin du film, Marisa Paredes, dans une composition à la Rebecca d'Hitchcock, qui convoque à elle seule tout le cinéma excentrique et excessif du Pedro : c'est elle qui amène le mélo, la comédie, et pour tout dire la seule trace de vie dans ce film mortifère et fantomatique.

Tout ça donne un film très contemporain, jouant avec le cinéma conceptuel ou l'installation graphique, se moquant pas mal de son scénario impossible pour s'adonner à la pure forme le plus souvent. On pourrait le lui reprocher, mais pour moi qui en ai un peu soupé des envolées sentimentales d'Almodovar, ce film est peut-être annonciateur d'une nouvelle veine qui me semble bien plus intéressante. Comme s'il avait remplacé les provocations de mauvais goût par une vraie mise en danger, comme s'il acceptait enfin de déranger son public durablement (les quatre vieilles qui étaient derrière moi et qui "adoraient Almodovar" au début se sont évanouies une par une pendant la séance et sont sorties furax, ce qui prouve que l'effet fonctionne). (Gols 29/08/11)


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Bien, bien, bien, on va finir par croire que c'est une habitude mais me voilà une nouvelle fois plutôt mitigé sur ce dernier opus du Pedro qui a décidément de plus en plus de mal à me faire totalement chavirer - je ne pense pas que cela l'empêche de dormir, cela dit. Si, dès les premières images (ce corps élastique qui se déploie sur un sofa !), il est bien difficile de ne pas succomber à l'esthétisme de la chose, il y a, dans les personnages en particulier, une telle froideur que j'ai eu bien du mal à "entrer dans la chose" - contrairement au personnage du tigre sans la_piel_que_habito_grdvouloir faire de mauvais jeu de mot... A ce propos, sans vouloir répéter le commentaire de Gols, cette arrivée impromptue de cet individu pseudo sulfureux en tenue de carnaval restera sans doute l'un de mes plus mauvais souvenir de l’œuvre du Pedro ; le ridicule ne tue point, c'est un fait... Comme s'il n'y avait pas encore eu assez de drame dans cette première partie (suicide, morts violentes...), la deuxième partie - le flash-back - attaque avec un viol et on se demande jusqu'où le Pedro poussera la surenchère dans le tragique pour faire rebondir son scénar... Ah ben oui, un petit kidnapping bien glauque, pourquoi pas, n'en jetez plus. Malgré tout, c'est peut-être à partir de là que j'ai eu un regain d'intérêt pour l'histoire : sans doute un lointain souvenir d'Attache-moi (dont je reste fan... mais point revu depuis des années...) qui est soudainement remonté à la surface ; on retrouve les thématiques almodovariennes par excellence où se mêlent domination, fascination et attirance sexuelle. Ce personnage "sans visage" (l'univers de Franju avec son lot de défenestrations et de labo sous-terrain) se fait alors vamp feuilladienne, tente d'échapper à ce créateur obsessionnel avant de se donner à son bourreau (non point des cœurs mais plutôt des sexes en l’occurrence) ; comme la musique, les chansons comme la partition originale, devient particulièrement inspirée, je ne cache point que j'ai alors, sûrement, par moment, à nouveau vibré au monde cinématographique du Pedro. Même si la fin part un peu en sucette - sortez les violons... mouais -, il n'en demeure pas moins que le film possède quelques séquences très enlevées dues en grande partie à l’ambiguïté des rapports entre le très sobre Banderas et la sublime Anaya (on ne pourra jamais reprocher à Almodovar la cinégénie de ses actrices). Voilà, voilà, une œuvre, à mes petits yeux, dans laquelle j'ai eu quelques plaisirs à habiter mais pour laquelle je ne me battrai point pour rester locataire... Voyez ? (Shang 18/12/11)  

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