Le Procès Céline d'Antoine de Meaux - 2011
Très intéressant documentaire, qui fouille avec précision et une certaine objectivité l'éternel passif de Louis-Ferdinand Céline concernant son antisémitisme crasse opposé à son génie littéraire. On y assiste à de passionnantes interviews d'historiens, de critiques, de biographes, et de Meaux a le mérite de s'intéresser aussi bien aux détracteurs du sieur ("Un salaud ne peut pas être un génie") qu'à ses défenseurs. Dans une mise en espace sobre, où seule la parole importe, ces réflexions sont particulièrement intéressantes quand elles parlent de style : la plupart des témoins, même les plus critiques à l’égard de Céline, ont l’œil qui s'allume quand il s'agit de parler de l'écriture du maître : les différences entre le langage parlé et la langue célinienne, la façon qu'il a de tordre le langage pour le rendre droit, l'humour qui se dégage de son style, sa noirceur qui serait comme une forme de romantisme forcené, toutes ces réflexions sont sensées, captivantes, et redonnent envie de relire immédiatement l’œuvre complète. Mieux même : pour une fois, on entend parler avec distance et calme des pamphlets antisémites des années 35 (Bagatelles pour un Massacre) : rien n'est excusable de ce qu'a écrit Céline dans ce livre, mais les critiques parviennent à montrer toute la beauté du style de l'auteur, son humour noir poussé à l'extrême, voire son désespoir très touchant (les pages sur la mort marquent sérieusement des points). Sans être angéliques, les interviewés font la part des choses sans exaltation, et ça fait du bien d'entendre des gens disserter sur Céline sans sortir immédiatement l'artillerie lourde.
D'autre part, le film montre des entretiens assez rares avec le principal concerné, ainsi que des images d'archive assez bluffantes (le gars habillé en quasi-clochard dans son exil, sa femme donnant des cours de danse à des fillettes, ou ce soutien des premiers temps de la part d'Aragon...) : Céline est drôle, quoiqu'on en pense, et ses interviews, même calmes, même effrayantes de cynisme et de mauvaise foi, déclenchent souvent des ricanements salvateurs. Le film est l'occasion de rappeler combien Bagatelles pour un Massacre fut un succès à l'époque (toute la presse vantant la drôlerie du texte), ce qui nuance un peu la réputation actuelle de Céline ; mais il sait aussi appuyer où ça fait mal, rappelant la sincérité profonde du racisme du gars, son absence totale de remords après la libération et jusqu'à sa mort, la dangerosité de ses textes et sa manipulation des médias. Bref, un doc relativement objectif, qui donne la parole à tout le monde. Dommage que la mise en scène de de Meaux soit parfois mal tenue : l'emploi de marionnettes (on comprend le truc, Guignol's Band, tout ça, mais ça donne esthétiquement des choses vraiment moches), l'insert de plans qui n'ont franchement rien à faire là (quid de ces images d'accouchements ou de ces handicapés qui défilent nus devant la caméra ?), et des lectures maladroites en voix off des textes de Céline (par Didier Sandre, qui aurait dû réfléchir un peu à la spécificité de ce qu'il est en train de lire avant de se lancer) alourdissent la chose, qui aurait dû se contenter d'exposer tranquillement les faits sans chercher à faire son malin. Mais ça reste un excellent petit film d'introduction à l'univers génialo-nauséabond de l'auteur.
Et puisque c'est Cinétrafic qui a eu la bonne idée de m'envoyer ce doc, un lien à l’adresse de nos lecteurs enthousiastes :
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