M le Maudit (M) (1951) de Joseph Losey
Étant un grand fan de la version de Lang et du jeu de Peter Lorre, c'est forcément un peu à reculons que je m'apprêtais à rentrer dans cette adaptation du gars Losey. L'ami Joseph est bienheureusement loin d'être un bras cassé : si formellement on ne retrouve sans doute pas la même virtuosité, on est loin d'être lésé, notamment sur le fond. Autres temps, autres mœurs, et le gars Joseph - alors que la chasse aux sorcières bat son plein aux US et qu'il n'allait d'ailleurs pas tarder à en être la victime - se charge forcément d'y faire quelques petites piquantes allusions. Il y a notamment une discussion entre deux témoins qui se disputent sur la couleur de la robe d'une petite fille : lui dit bleu, elle rouge et se voit traiter par l'homme de "communiste". L'allusion fait forcément sourire, mais on rit beaucoup plus jaune lorsqu'on assiste à ces multiples scènes où des quidams de bonne volonté qui tentent d'aider une petite fille se font furieusement prendre à parti par la foule qui les accuse d'être le tueur ; les scènes étaient déjà présentes chez Lang mais on sent chez Losey cette envie de montrer cette hargne de l'Américain moyen à vouloir accuser à la moindre occase son voisin... Le final est également dans une certaine mesure - l'accusé reconnaissant aisément ses torts - un véritable portrait à charge de cette foule en colère plus avide de vengeance qu'apte à comprendre la maladie de cet étrangleur d'enfants. Comme le dit cet avocat improvisé qui va d'ailleurs morfler dans la bagarre, est-ce que quiconque dans cette foule n'a pas quelque chose à se reprocher ? On a beau se dire que Losey s'appuie sur le scénar de Lang, ce remake vingt ans plus tard de cette histoire sur le sol ricain est tout de même, quand on y songe, relativement couillu.
David Wayne reprend donc le rôle de Peter Lorre, et si au départ on a tendance à le trouver méchamment transparent - mais n'est-ce pas justement la volonté de Losey... -, il aura droit par la suite à des séquences beaucoup plus fortes ; il y a d'abord cette scène où il se retrouve coincé avec la gamine dans cet étrange et pour le moins troublant entrepôt de mannequins (une idée qui aurait marqué Kubrick et l'aurait influencé pour le final de Killer's Kiss ? Je pose juste la question.) : notre homme est soudain pris d'une terrible panique et se met à gratter à la porte comme un dingue les doigts en sang. On ne va pas se mettre forcément à plaindre Kadhafi - pardon, je dérape - ce meurtrier qui est fait comme un rat, mais on a forcément un milligramme d'empathie et d'humanisme envers le calvaire du gars et la tension de monter d'un cran comme pour préparer le final. David Wayne, lors d'un plan-séquence ultra-tendu - il a dû méchamment se fracasser les poings vu comment il frappe sur le bitume à mains nues, le bougre -, aura l'occasion non point de "plaider sa cause" - il se sait coupable et ne cherche point le pardon - mais de tenter d'expliquer en détails les raisons de ses actes. Une lucidité tout à son honneur (si jamais il lui en reste, certes...) dont sont incapables de faire preuve ces Ricains moyens "chaud bouillant".
Bien aimé également ces malfrats qui tentent de jouer aux héros - et de se défaire également de la pression de la police - en coffrant eux-mêmes ce "baby-killer" : seulement, parmi eux, malgré tout le sérieux de la tâche qui leur incombe, il y en a certains qui ne peuvent s'empêcher de ne penser qu'à leur gueule (ma préférence va au gars qui pique dans un magasin ces deux petites flasques de whisky et qui s'endort sur place... Enfoirés de flics qui le réveilleront). Sous prétexte de retrouver le voleur dans ce grand magasin, nombreuses sont les boutiques qui sont pillées et les malfrats de se plaire ensuite à jouer aux moralistes vis-à-vis du tueur - vous êtes po les arbitres du monde, mes cocos, si je peux me permettre... La conclusion du Losey n'est pas aussi magistrale que celle de Lang mais cette séquence finale dans le parking sous-terrain fait tout de même son effet par le côté claustrophobe qu'il induit : cette société ricaine pourrait bien étouffer dans ses propres valeurs morales si son premier réflexe face à un individu indéniablement malade est de vouloir le mettre à mort... Soixante ans plus tard, on en est où ? Un visionnaire, ce Joseph, tout autant que le Fritz...