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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 janvier 2020

Le Limier (Sleuth) (1972) de Joseph L. Mankiewicz

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Pour son ultime réalisation, le gamin Mankiewicz s'en donne à cœur joie et nous livre une petite mécanique scénaristique absolument jouissive. De cette ouverture sur ce jardin en forme de labyrinthe à ce "bloody" final - l'anglo-saxon aime à jouer sur les mots -, on se régale de ces multiples rebondissements où l'arroseur se fait arroser, le pseudo-inspecteur (Laurence Olivier écrit des polars) se fait pseudo-inspecter (oui, c'est pourtant vrai...), où le joueur malgré lui (Michael Caine) se prend fatalement à son propre jeu... Si l'intrigue de départ peut apparaître somme toute basique - deux hommes se disputent la même femme -, la façon dont ces deux personnages vont tenter de jouer au plus finaud est, elle, loin de l'être. C'est tour à tour vachard - l'aristo qui se moque de ce petit coiffeur d'origine italienne -, rigolard - on s'esclaffe théâtralement à tout bout de champ -, et diablement misanthropard - tous les coups - tordus - sont permis pour "se jouer" de son adversaire - et ce petit jeu de massacre entre individus point dénués d'imagination tourne à la démonstration magistrale. Laurence Olivier et Michael Caine interprètent ces bouffons de la farce avec un plaisir que l'on devine indicible - Caine est un peu limite dans la crise de larmes, mais il se rattrape magnifiquement quand il reprend les rènes de la situation... - et même si leur jeu peut paraître, par la force des choses, méchamment théâtralisé, grâce aux dialogues qui s'enchaînent sur un rythme de mitraillette et à la mise en scène d'une sublime fluidité de Mankiewicz, on se retrouve happé de bout en bout dans cette "représentation" qui passe comme un éclair - 2h20 qui passent comme une micro-tasse de thé.

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Dur d'en dire plus sur l'intrigue sans la trahir - je vous laisse notamment la surprise des autres personnages annoncés au générique d'ouverture... On pourrait tout de même ajouter deux mots sur cet incroyable décor, véritable manoir hanté par l'imagination d'un enfant (voyez le genre, nan...?), et sur cette incroyable armada d'automates présents dans le film - "le rire est une mécanique plaquée sur du vivant" disait grosso modo, ce me semble, le gars Bergson, et vice versa serais-je presque tenté de rajouter, humblement, en écho à cette œuvre joliment huilée... Outre ces individus animés qui se retrouvent malgré eux au cœur du récit, il y a tout une panoplie "d'accessoires" merveilleusement employés : de cette panoplie de clown d'un ridicule extrême (l'expression du rire aux larmes est illustrée en une bien belle image) à ce puzzle entièrement... blanc (si les morceaux de l'intrigue s'emboîtent magistralement, bien difficile de deviner ce qu'ils vont nous "révéler" à la fin de chaque acte...), de ces éternels objets (chaussures, vêtements, bracelets...) qui servent généralement de preuves pour éclaircir un meurtre et qui sont ici constamment "détournés" (on s'en sert plus pour "jouer" que pour résoudre véritablement un crime) à ce squelette qui ne cesse de sortir de son placard (gag facile pour gamin ou allusion directe à ce qui se trame en sous main ?...), on est totalement bluffé de voir comment, à chaque fois, le cinéaste parvient à en tirer toute la sève et à les inscrire subtilement dans ses cadres - une leçon sur l'utilisation de la profondeur de champ. Mankiewicz termine sa carrière avec ce film absolument captivant et d'une parfaite causticité (jusqu'où peut-on aller pour avoir le sentiment de triompher de l'autre...) qui semble avoir été tourné avec une facilité, pour ne pas dire un esprit, proprement enfantin(e). Rideau maestro - po trouvé de rime avec "Sleuth", désolé...   (Shang - 30/09/11)

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On s'amuse bien, c'est vrai, devant ce scénario totalement improbable filmé par un Mankiewicz en surchauffe, qui n'a plus grand chose à prouver et ne prouve donc rien en matière de mise en scène : même si Sleuth repose surtout sur ses dialogues, sa trame et ses acteurs, on reste épaté par le sens du rythme que la caméra du maître parvient à insuffler à cette pièce de théâtre un peu ringarde. Le mari, la femme, l'amant, un monstre sacré mais vieillissant, un huis-clos avec rebondissements en mousse, on a de quoi trembler en effet ; mais on se retrouve charmé en fin de compte par cette comédie policière délicieusement retorse, jouée pas si mal que ça, écrite avec malice, et surtout filmée de maître. Ce qui apparaît finalement le plus touchant là-dedans, c'est la transmission des vieux briscards du cinéma de papa à la jeune génération : de Laurence Olivier, star du jeu shakespearien, adepte d'une théâtralité un peu poussiéreuse, à Michael Caine, jeu naturaliste beaucoup plus moderne, construction plus expérimentale du personnage. Les deux rivalisent "pour de rire", et sont tour à tour géniaux (Caine qui accepte sans rechigner tous les registres de jeu ; Olivier en dandy malicieux) ou pathétiques (Caine dans sa scène de pleurs, ouille ; Olivier dans son rire démoniaque, aïe), et le spectacle se suffit à lui-même de voir ces deux stars tirer la couverture ou au contraire laisser toute latitude à l'autre. Mais le scénar vient en rajouter une couche dans le plaisir : même si on est dans la convention de grand papy au niveau du polar pur, de la crédibilité, des dialogues et des situations, on ne peut qu'applaudir la façon qu'ont Shaffer (au scénario) et Mankiewicz de secouer tout ça, de ne pas prendre cette histoire au sérieux et de ne fabriquer qu'un objet de cinéma, fun et sans nuance. C'est brillant, clinquant, complètement gratuit, inoffensif et rigolo, et si on n'est sûrement pas dans les sommets du 7ème art, on a face à nous des professionnels de la profession au savoir-faire irréprochable, on ne va pas s'en plaindre.   (Gols - 16/01/20)

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Commentaires
G
Je me permets de signaler ceci : "En 1999, l’écrivain Tanguy Viei a consacré un roman complet « Cinéma » au film (éditions de Minuit). Cette obsession du Limier vu sans cesse au magnétoscope l’amène, fait assez unique, à écrire sa propre obsession du film. Ce n’est qu’aux deux tiers de son roman qu’il cite le titre du film de Mankiewicz. Pourquoi ça s’appelle « Cinéma » et pourquoi « Le limier », il faut lire le livre bien sur, écrit comme un suspense." https://films.oeil-ecran.com/2008/06/28/limier/
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