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Shangols
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19 septembre 2011

Le Monde d'Apu (Opur Shôngshar) de Satyajit Ray - 1959

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Dernier volet de la "trilogie d'Apu" qui nous a donné de bien jolies émotions, ce film est à la hauteur des précédents : c'est hyper-class esthétiquement, pas forcément passionnant au niveau du scénario, mais on en ressort tout chafouiné, tant Ray excelle à nous tortiller le coeur avec ses petites situations douces-amères. Cette fois, Apu a grandi, est devenu un aspirant-écrivain vivant de petits expédients : c'est la bohème à Calcutta, nous ne mangions qu'un jourrrr sur deux, et notre gars se fiche bien de ne pas avoir de quoi payer le loyer du moment que la pluie de la mousson lui rince la gueule tous les matins. La première partie est pleine de clichés, certes, avec cette chronique d'une pauvreté assumée : notre Apu écrit un roman et déclame des poèmes devant son copain à lunettes qui lui conseille de se ranger, c'est du connu. Mais Ray filme tout ça avec un magnifique sens du cadre qui donne une belle dynamique à l'ensemble : c'est communicatif, on est tout heureux à l'instar d'Apu. On suit donc avec plaisir ce portrait borzagien, bienveillant à l'égard de tous les personnages, et on se rappelle avec nostalgie notre propre jeunesse. C'est là que la bât blesse un chouille, s'il faut chercher la petite bête : depuis le début, la trilogie repose sur la nostalgie, qui n'est pas le sentiment le plus photogénique du monde, et ce troisième opus est peut-être le plus assumé dans ce sens. La vie de bohème du héros est vraiment trop pleine de clichés pour qu'on oublie qu'on est au cinéma et non dans une autobiographie vraiment réaliste.

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Les choses changent quand Apu, invité à un mariage, repart direct... avec la mariée. Outre l'aspect un peu sombre de la chose (les mariages arrangés, les très jeunes filles sacrifiées aux hommes), ça ouvre la voie à quelque chose de plus torturé : dans un premier temps, c'est la lente adoption d'un mari par sa femme, avec en motif sous-jacent une sexualité problématique, indicible, qui baigne le centre du film ; puis, quand la femme meurt en couche, c'est la plus belle partie, celle qui consiste pour Apu à devenir un vrai adulte et à assumer ce fils qu'il ignore. Les passages où Ray filme la dépression du héros, son renoncement au statut d'écrivain, sont vraiment beaux, avec la musique de Shankar qui vient doper ce très expressif visage d'acteur tourmenté, ce rythme très lent, presque hébété, qui montre un homme sombrer dans le désespoir. Les gros plans sont les plus convaincants : Ray sait à merveille enregistrer des respirations suspendues, des regards anxieux, des doutes, en filmant simplement les visages, en les plaçant les uns par rapport aux autres dans des cadres serrés et parfaitement gérés dans leur longueur. Quant aux dernières bobines, elles closent la série avec maestria : ces scènes magnifiques où l'enfant d'Apu suit celui-ci alors qu'il a renoncé à la paternité sont bouleversantes. Plus qu'un fils qui tente de retrouver un père, elles montrent un homme rattrapé par son enfance, faisant ainsi une boucle entre le premier épisode et le dernier. Car il s'agit du parcours d'une vie que Ray a choisi de filmer, le récit de la métamorphose d'un enfant en père, et c'est touchant qu'il se retire ainsi sur ce dernier plan lumineux : un enfant sur les épaules de son père, qu'on peut lire aussi comme un homme qui porte sur ses épaules sa propre jeunesse. La mise en scène, subtile, ne cesse de construire ainsi des rapports entre les gens, mais aussi des prolongations internes au héros : les travellings qui accompagnent les barques en parallèle avec la procession du mariage, le décadrage audacieux sur un écran blanc quand Apu est tenté par le suicide, ou les profondeurs de champ dans les séquences avec son fils, tout est soigneusement pensé pour nous raconter à la fois l'histoire concrète et celle plus secrète du monde (intérieur) d'Apu. Touché, oui.

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