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7 juin 2011

La Chute d'un Caïd (The Rise and Fall of Legs Diamond) de Budd Boetticher - 1960

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Encore une fois du monde aux manettes dans ce bon vieux film de mafieux au taquet : Boetticher range ses Stetson pour se consacrer aux guêtres et autres armes de poing, avec cette saga scorsesienne retraçant le parcours de Jack Diamond, petite frappe pleine d'ambition qui va devenir un des magnats de la pègre pendant la Prohibition. Plusieurs cordes à son arc : le culot d'abord, qui lui permet de défier ouvertement les parrains en place sur leur propre terrain ; l'invulnérabilité ensuite, puisqu'il se ramasse tour à tour une bonne dizaine de balles dans le buffet en en ressortant toujours indemne ; les femmes enfin, véritable arme de destruction massive, le gars usant de son charme pour utiliser au mieux les possibilités des demoiselles : tu peux me trouver un job pour me faire sortir de tôle ? tiens, un patin ; tu es la poule du caïd du coin ? tiens, une galoche... Mais dans toute bonne saga, il faut LA femme au milieu des autres : ce sera la grande Karen Steele, actrice fêtiche de Boetticher, que personnellement je kiffe grave, qui interprète ici un personnage étonnant de bécasse bébête et alcoolo, et qui malgré ça parvient à être fatale. C'est l'anti-héroïne par excellence, il suffit de la voir dans les scènes où elle accompagne son voyou de mari au cinéma en Europe : même assise, elle titube, ouvre de grands yeux de biche sur les actualités sans en comprendre une goutte et hoquette bruyamment. Ajoutez à ça son physique très étrange, entre la girafe et le poussin, et vous comprendrez pourquoi ma demande en mariage ne saurait tarder (las, la dame est décédée à 58 ans, y a pas de justice).

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Passons : outre le charme du personnage féminin, il y a là tout le savoir-faire de Budd, qui sait comme personne raconter avec modestie mais non sans esprit une histoire. Le film commence bon enfant, avec ce héros un peu espiègle et sans gène qui rêve d'arriver, puis aborde sans qu'on ne l'ait vu venir un versant beaucoup plus sombre et violent. Dans la deuxième moitié de la chose, il y a des plans qui étonnent par leur modernité : le couple de gangsters tranquillement installé sur des marches, et une grenade qui roule entre eux ; ce visage de femme torturée, rendu d'autant plus glaçant qu'il fait succéder à une séquence très douce le cri de douleur et le geste brutal (on tire les cheveux de la femme qui a trahi) ; la lente dégradation du héros, qui du sommet va tomber dans la honte et le ridicule ; ce frère malade (Warren Oates, déjà immense à cette époque) sacrifié à l'autel de l'ambition. Je vous dis : il y a tout pour faire un grand Scorsese ou un grand Hawks, la classe, la force des personnages, le sens des situations, un certain goût pour le baroque (ici dissimulé derrière l'éternelle modestie du metteur en scène, mais pourtant bien présent dans "l'excès" de certaines scènes), des pointes d'humour au sein de la tension, une histoire forte, des acteurs impeccables. Même si ça sent un peu le manque de budget, dans les décors ou dans des ellipses qui semblent un peu "forcées" par la pauvreté, ce film est élégant, intéressant et personnel. C'est un très bon exemple, pour le coup, du côté "sentimental", en tout cas intime, de Boetticher, qui, même dans un film de genre (que ce soit le western ou le film de gangsters), préfère toujours aborder la narration par l'humain, par le potentiel psychologique et émotionnel de ses personnages : on s'intéresse ici beaucoup moins aux actes concrets de Legs Diamond qu'à son comportement, à son rapport avec sa femme ou son frère, à sa soif obsessionnelle de grimper les échelons, à ses doutes ou à sa morgue. Même si le film n'oublie pas d'être quand même plein de suspense et d'aventures (précision de la scène de cambriolage dans la bijouterie, qui prend tout son temps, qui laisse monter la sauce), il est au plus près des sentiments. Un pré-Casino, sans aucun doute, reconnaissez que c'est un beau compliment.

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