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15 avril 2011

LIVRE : Le dernier Stade de la Soif (A Fan's Notes) de Frederick Exley - 1968

9782953366433Notons avant toute chose que ce livre est un magnifique objet, que l'on doit aux éditions "Monsieur Toussaint Louverture" : couverture qu'on touche avec sensualité (diable !), très très beaux papier et mise en page, sans parler de ce quatrième de couverture qui dénote la présence derrière cette édition de vrais passionnés de littérature. On s'attend donc à du gros avec ce texte, qu'on nous annonce comme un livre culte méconnu, dont l'auteur, vague clodo désespéré cher à la littérature américaine, mort alcoolo et jeune, serait proche d'un Bukowski ou d'un Thomas Bernhard. On voit d'où ces références viennent : comme Buk, Exley pratique "l'auto-fiction" en inadapaté social, promenant sa bedaine, son haleine de chacal et sa tendance exagérée à la bibine et au je-m'en-foutisme le long d'une existence terne et dépressive ; comme Bernhard, le tout est soutenu par une critique plus ou mons virulente de la société moderne et des modèles qui la cimentent : petite-bourgeoisie fade, milieu de l'éducation rongé par la vanité, minable prolétariat des bistrot crades, etc...

Malheureusement la comparaison avec ces deux grands maîtres s'arrêtera à leur thématique commune : Exley n'est pas aussi radical que Buk, pas aussi violent que Bernhard, et son écriture montre trop vite ses limites. Attention, hein, on a droit à un livre très bon par moments, surtout quand l'auteur, abandonnant ses petites tentatives de provocation un peu auto-centrées, se laisse envahir par la pure émotion, dévoilant une écriture très sensible. C'est le cas de la toute fin du livre, ou de ces chapitres presque oniriques où il décrit précisément la dépression, l'hébétude et le renoncement face aux choses. L'humour est souvent présent, et on sent toute la sincérité et la justesse de son regard : il y a dans ce personnage d'associal fan de football américain une introspection qui force le respect, Exley ne tombant jamais dans la condescendance par rapport aux autres (je veux bien reconnaître que c'est un des défauts de Bukowski), se mettant toujours dans le même bain que ses compagnons d'infortune les plus minables. Sévère auto-critique qui marque des points.

Mais il n'en reste pas moins qu'on émet des doutes sur cette écriture pas assez ramassée, parfois presque geignarde à force de se répéter, et qui manque de l'élan qui pourrait brusquement vous chopper par les cojones et vous emmener au degré d'émotion désiré. Trop de mots, pourrait-on dire : Exley a tendance à tout vouloir garder, sans élaguer, sans faire le nécessaire travail sur le style. Du coup, les passages où il décrit la souffrance qu'il éprouve à trouver le mot juste ou la juste tournure de phrase ne passent pas la barre des travaux pratiques : on dirait que le texte n'est pas assez travaillé. Beaucoup de pages inutiles, beaucoup de plaintes, pas assez de "sécheresse" pour être vraiment violent ou dérangeant. Ce récit est précieux en ce qu'il montre de la sincérité et du malheur de son auteur ; il l'est moins du point de vue purement littéraire, et se perd un peu dans la masse des petits maîtres du désespoir. Tournez-vous donc plutôt vers Buk, vers Martinet ou vers Fante : là, on a du malheur fait Verbe !

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