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2 février 2011

Un Amour éternel (Eien no hito) (1961) de Keisuke Kinoshita

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Voilà - enfin - l'occasion de rendre hommage à la sublime et inoubliable Hideko Takamine qui nous a quittés à la fin de l'année 2010 - il me semble en effet ne pas avoir vu de film avec elle depuis... On pense qu'on va pouvoir se délecter d'une grande histoire d'amour nippone ultra romantique, ben nan, le titre est en fait assez trompeur : une Haine éternelle aurait en effet sûrement mieux convenu pour décrire les relations sur trente ans du couple phare formé par Hideko Takamine et par le toujours aussi juste Tatsuya Nakadai. Il faut bien reconnaître qu'il s'agit, pour les deux, d'un rôle terriblement dramatique où les sourires se font aussi rares que les flamands roses dans ce paysage volcanique japonais. On penserait presque parfois à l'intrigue du Chat (dans le fond seulement, je vous rassure, pas dans la forme, puisque justement, ici, il y en a...) vu à quel point nos deux époux passent leur temps à se faire la gueule et à essayer de blesser l'un l'autre - heureusement d'ailleurs qu'il n'y a point de chat dans l'histoire sinon celui-ci aurait été depuis longtemps bouffé en sushi par l'un des protagonistes - ah oui, c'est à ce point.

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Les cadres et le noir et blanc de Kinoshita sont comme toujours des merveilles (travelling limpide pour suivre des personnages courant à perdre haleine dans la campagne, cadre dans le cadre joliment composé, magnifique utilisation du scope pour mettre en scène, notamment, toute la "distance" (physiquement et sentimentalement) qui existe entre les deux personnages principaux...), c'est franchement la perfection même ; le seul petit bémol, à mes yeux, viendrait - mais c'est un avis tout personnel, question de goût et de couleur... - de la musique : des airs de flamenco - parfois même chantés, argh (en japonais, cela va de soi) - qui, s'ils essaient de traduire (de façon originale, convenons-en) les rapports "passionnels" et obsessionnels (dans la haine ou dans l'amour d'ailleurs) entre les individus, sont parfois tout de même méchamment envahissants... pas ma tasse de thé, mais bon, certains y trouveront peut-être leur compte.

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L'histoire est découpée en cinq chapitres (1932, 1944, 1949, 1960, 1961): trente ans donc de l'amour impossible entre Sadako (Takamine) et de Takashi (Sada) (bizarre cette inversion des noms entre leur rôle et leur identité réelle !), trente ans de guerre conjugale entre Sadako et Heibei (Nakadai). A l'origine de cette union et de cette mésentente, il y a le viol de Sadako par Takashi : ce dernier revient de la guerre, en Chine, avec une jambe de guingois ; il est le fils d'un riche propriétaire et semble bien décidé à faire ce qu'il lui plaît. Dès qu'il aperçoit la jeune Sadako, il s'en éprend et se met martel en tête de la conquérir coûte que coûte - tout en sachant que cette dernière est amoureuse d'un jeune fils de paysan - comme elle - toujours à la guerre. Il commet donc l'irréparable en la prenant un soir de force - Sadako tente par la suite de suicider en se jetant dans une rivière, en vain - et le père de Heibei ne tarde pas à forcer la main du père de Sadako en demandant sa fille en mariage (de par sa condition et sa dépendance envers ce propriétaire terrien, il ne peut qu'accepter et on le voit trinquer la mort dans l'âme avec son maître - la scène est filmée entre deux larges pans noirs, de chaque côté du cadre, renforçant l'idée que le pauvre paysan se retrouve coincé...). Lorsque Takashi revient finalement de la guerre, il propose à Sadako de se faire la malle... avant de se désister au dernier moment : notre jeune homme semble prêt à se sacrifier pour le bonheur de Sadako qui peut jouir dès lors d'une condition plus élevée... On pleure de rage d'avance.

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L'histoire qui nous est contée par la suite fait la part belle aux sentiments terribles de frustration que vont ressentir les deux époux ; Sadako semble ne jamais être capable de pardonner à ce mari son acte barbare originel (on la comprend) mais reste liée "par la force des choses" à celui avec lequel elle a trois enfants. L'aîné (conçu le soir du viol), fils chéri par son père, concentre toute la haine de Sadako, et celui-ci a bien du mal à supporter au quotidien cette tension extrême au sein du couple. Les deux autres enfants - un garçon et une fille - resteront marqués toute leur vie par la "drôle" de relation et les origines de leurs deux parents, l'un devenant gauchiste lors de ces années étudiantes comme pour racheter le "maléfice" qui pèse sur ses ancêtres, l'autre (manipulée par sa mère... possible) se mariant avec le fils de Takashi... Ce dernier ne croisera son amour de jeunesse qu'en de rares occasions (magnifique passage où ils se retrouvent, le temps d'une séquence à l'issue dramatique, à nouveau main dans la main courant dans la campagne... des retrouvailles qui sonnent d'ailleurs presque comme des "funérailles" de leur amour...) mais resteront fidèles jusqu'à leur dernier souffle à leur sentiment originel.

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Avec le temps, on espère que nos deux époux, vieillissants, finiront par enterrer la hache de guerre... Certaines blessures restent cependant à jamais ouvertes, et même lorsque Takashi sera en train d'agoniser (grand moment de pudeur, d'humilité et de bienveillance alors que son "aimée" se trouve à son chevet :  "Quand on est proche de la mort, on a envie que tout se passe dans la sérénité" - plus zen, tu meurs) et que les deux époux auront l'occasion - au moins pour un temps - de faire la "paix", l'entente sera même alors bien difficile à trouver... Ce n''est sûrement pas le récit le plus gai qu'on ait vu ces derniers temps mais l'interprétation magistrale du trio à l'affiche, la science du cadre de Kinoshita, la musique (rah... nan j'ai du mal) suffisent à faire de cette oeuvre, triste comme un jeune cerisier gelé,  un drame sentimental... éternel.

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