Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 janvier 2011

Le Président d'Yves Jeuland - 2011

19622302_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20101215_051053Faire succéder ainsi la tronche de Georges Frêche (R.I.P.) au joli minois de Charlotte Gainsbourg (mon gars Shang vient de revoir La petite Voleuse, bienheureux homme) peut sembler scandaleux, mais que voulez-vous, on fait ce qu'on peut. En tant que citoyen du Languedoc-Roussillon, je dois être un peu maso pour me taper ainsi 90 minutes supplémentaires de ce personnage que j'ai bien assez vu de son vivant, mais je ne regrette pas pour autant le voyage : le doc de Jeuland est ma foi tout à fait pertinent et intéressant. Il suit donc pendant quelques mois Frêche en pleine campagne pour les Régionales : discussions avec les conseillers, plans marketing, meetings tonitruants, petites phrases d'alcôve, protocole usé, on est dans la grande tradition du documentaire politique (Depardon et son film sur Giscard viennent souvent à l'esprit), dans cette volonté de filmer presque objectivement la politique en train de se faire.

Le personnage est éminemment cinématographique : coups de gueule à la Tartarin de Tarascon, saillies douteuses sans arrêt à la bouche, bon sens populiste au taquet, il est pris en plus en plein tournant politique : les scandales "Fabius a pas une tronche catholique" et "y a trop de Blacks en équipe de France", 19622305_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20101215_051054l'exclusion du PS, les luttes fratricides avec son ex-collaboratrice Hélène Mandroux, tout ça en fait un personnage médiatique idéal pour ce type de film, et Jeuland ne se prive pas de le filmer sous tous les angles dans son exercice de joute politique qui semble le faire jubiler. Très drôle de voir le trublion incontrôlable balancer des âneries aux médias devant la tronche consternée de ses conseillers, qui lui font passer des petits mots désespérés qu'il leur renvoie à la gueule en direct. Le film sait merveilleusement capter cet exercice politique qu'est une campagne électorale, et qui n'a finalement pas grand-chose à voir avec la politique : mélange de manipulation populiste, de plan publicitaire, de mensonges savamment distillés, d'approximations et de morale mise au panier, la campagne qu'on nous donne à voir fait du cynisme le sine qua non de la victoire. Quel meilleur personnage que Frêche pour incarner ce machiavélisme moderne, ce populisme franc ? On est aussi amusé qu'affligé devant les séquences où on voit le gars verser des grosses larmes en évoquant l'arrivée de son père en France, pieds nus et sabots au cou, puis s'esclaffer devant un tel mensonge ; ou prononcer un vibrant discours humaniste pesé au millimètre pour toucher les gens ; ou traiter le peuple avec autant de condescendace mélé d'autant d'admiration ; ou jongler avec les décisions douteuses (ériger une statue de Lénine en plein Montpellier) en maniant une langue de bois sidérante. Le film ne nous apprend rien de nouveau sur la conquête du pouvoir ; il la met juste en pleine lumière à travers un personnage qui a fait du cynisme son arme assumée.

19622303_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20101215_051053La mise en scène adoptée par Jeuland utilise le plus souvent deux procédés aussi judicieux l'un que l'autre. D'abord le cadre large, qui place les personnages dans le décor et donnent cette impression de distance effrayante entre nous et "eux" (les décideurs, ceux qui savent). La valse des personnages indéfini qui gravitent autour de Frêche, associée aux claquement ouatés des portières de voitures, au silence très bien amené après le vacarme des meetings, le tout pris avec cette distance froide, développe une atmosphère de secrets opaques qui fait mouche. D'autre part, l'utilisation de plans rapprochés en contre-plongée donne l'effet inverse, celui d'être immergé au coeur du secret : Jeuland utilise cette technique pour es scènes de  discussion entre les conseillers et Frêche, et on a la sensation (la caméra en position basse jouant le rôle de la "petite souris") de capter tout, mouvement de la parole, regards, petites scènes du quotidien aussi bien que grands moments de tension. Jeuland est toujours là où il faut, dans les coulisses des émissions de télé, dans les toutes petites discussions, dans les moments où chacun se lâche... Il capte du coup des moments extraordinaires, comme cette séquence terrifiante où Frêche engloutit des tranches de jambon à la chaîne face à ses collaborateurs de toute évidence avinés, ou comme ces considérations d'un publicitaire qui compare le candidat à du Yop ("bah, là aussi il a fallu 10 ans à la marque pour se faire connaître"), ou comme cet épuisement touchant qui s'empare parfois du corps de Frêche et le laisse tout nu devant la caméra. Un grand film politique, désespérant et fascinant comme il se doit.

Commentaires
Derniers commentaires