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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
15 janvier 2011

Tous les Biens de la Terre (The Devil and Daniel Webster / All that Money can buy) (1941) de William Dieterle

Faust aura inspiré bien des cinéastes, et cette version de William Dieterle, malgré un happy end finalement un peu décevant (qui fait l'enfant, finit en enfer - c'est le pacte quand même, généralement...), réserve son lot de véritables satisfactions : une musique d'Herrmann toujours aussi somptueuse, un diable fascinant (Walter Huston, un rictus figé aux lèvres, ricanant éternellement), une tentatrice aux yeux envoûtants (Simone Simon, le visage toujours aussi diaboliquement lisse) et des images ici et là joliment floutées qui parviennent à troubler constamment l'atmosphère. Il ne faut point prendre le nom de Dieu en vain, mais faire usage de celui du Diable, ben c'est po mieux.

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Jabez Stone (que celui qui n'a jamais pêché me jette la première pierre...) n'est pas un mauvais bougre mais il accumule les problèmes : il a des dettes par dessus la tête, un porcinet qui sgrouicke stupidement pour s'être foulé la cheville, une femme qui chute bien bécassement d'une charette, un renard qui lui vole ses poules et des sacs de grains qui lui glissent bêtement des mains pour finir dans des flaques. C'est la panade et franchement, vu qui plus est la pluie qui tombe, on comprend fort bien qu'il lâche un juron et soit prêt à tout pour améliorer son sort - en plus, il vit encore avec sa mère, la plaie, quoi. Nous, le diable, on l'avait vu arriver de loin, mais lui, tout émerveillé de découvrir un monceau de pièces d'or dans sa grange, est prêt à signer n'importe quel papier, de son sang, pour avoir la paix. "Qui veut gagner des millions" n'existant point à l'époque, on comprend que la tentation soit facile. Tout se met à rouler dès lors pour lui qui ne tardera point à rouler sur l'or. Ses moissons sont les seules à être épargnées par la grêle, sa femme est enceinte, la baby-sitter a les yeux de Simone Simon et lui susurre des mots tendres à deux millimètres du visage, et vas-y que j'emploie tous les pauvres paysans du coin pour les avoir sous ma botte, que je fais des rando à cheval avec la Simone, que je me fait construire une baraque plus grande que la Maison Blanche. A peine un soupçon de remord l'effleure, mais putain 7 ans, c'est rien, on a beau lui hurler, il fait la sourde oreille.

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Si le Diable se fend la pipe dans son coin, la Simone, avec son air de ne point y toucher (on lui donnerait le Bon Dieu sans confession...) et son léger accent guère catholique mène notre homme par le bout du nez. Comme dans La Bête Humaine, elle joue la vamp mutine diaboliquement dangereuse avec son petit minois innocent. Beaucoup aimé pour ma part toute la séquence sur la fin dans ce palais désert où notre homme avec son amante et sa femme (Mary... forcément, plus bienveillante et pure, tu te dissous), devenue pour lui quasiment invisible, attend ses convives. Des visages se pressent aux fenêtres pour assister à cet étalage de richesses indécentes, et la Simone de convier tous ces fantômes morts de faim dans la place avant de se lancer dans une valse enivrante et cauchemardesque. Jabez ne tarde point à se retrouver au pied du mur et de comprendre que les sept ans se sont envolés dans un tourbillon de plaisirs vains et vaniteux. Il possède heureusement sous la main le fameux Daniel Webster, homme de lois et défenseur des causes perdues : celui-ci va décider de défendre son cas devant un tribunal réunissant les pires fripouilles américaines de tous les temps, figures fantômatiques convoquées par le Diable lui-même (manque à l'appel George Bush qui jouait au golf). Bon c'est un peu morale time, faut reconnaître (l'histoire de la seconde chance et tout le tintouin...), mais cela ne parvient point à gâcher le sentiment général que l'on peut avoir sur le film : derrière la façade idyllique de la vie de cet homme, les zones d'ombres (un noir et blanc au taquet) qui planent constamment sur son destin (les jeux sur les éclairages sont omniprésents) demeurent un vrai régal pour les mirettes.  (Shang - 08/03/09)

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Bien déçu pour ma part par ce film dont j'attendais pourtant beaucoup. Dieterle y apparaît effectivement comme le petit maître qu'il a la réputation d'être, et son film sent le faux à tous les niveaux. A part cette agréable séquence finale dont parle mon camarade, il rate à peu près toutes les scènes, que ce soit les plus attendues (la signature du contrat diabolique, la rédemption finale) ou les plus "ordinaires" : c'est même presque dans ces dernières qu'on soupire le plus. Dieterle voudrait peindre une campagne idyllique (le New Hampshire considéré comme un Eden perdu), et multiplie du coup les éclairages en biais, les scènes d'Epinal et les clichés bon-enfant ; mais tout sent le studio et l'insincérité dans ces icônes glacées de la vie rurale. N'est pas Ford qui veut, qui réussissait, lui, avec les mêmes toiles peintes et la même artificialité, à rendre crédible et touchante une campagne imaginaire (depuis Just Pals jusqu'à Grapes of Wrath). Chez Dieterle, on voit les plis, tout sent le studio d'Harcourt et le bon profil des comédiens. Pour une fois la collection Criterion, toujours aussi attentive à la qualité de l'image, met à jour le plus gros défaut du film : un côté papier glacé qui annule tout le côté humain de l'histoire.

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Le scénario n'est pas terrible, tombant souvent dans un éloge vibrant de l'Amérique qui sent le populisme à plein nez ; il est en plus très mal raconté par Dieterle, qui a de vrais soucis de construction et de montage (le rythme est au petit bonheur). Seuls quelques plans laissent imaginer quel bon film ç'aurait pu être chez un autre réalisateur, notamment ce plan final, excellent, qui reprend l'image de l'oncle Sam ("We need you") mais portée par un Lucifer ricanant ; ou cette série de portraits au plus près sur Daniel Webster aux prises avec le doute et les effets de sa conscience. Les quelques audaces politiques (le diable qui sussurre : "J'étais déjà là aux premiers massacres des Indiens, au premier négrier quittant le port"...) sont ensevelies sous des monceaux de politiquement correct qui finissent par filer des crises de diabète. Et les acteurs sont à l'avenant : mis à part Walter Huston, effectivement assez marrant en diable, les autres jouent au minimum, se contentant d'être dans les bonnes vieilles marques éternelles de leurs archétypes : Simone Simon en femme fatale qu'elle a jouée bien plus subtilement chez Renoir ; James Craig qui fait des mines héritées du cinéma muet ; ou la gonflante Jane Darwell en mamma catho présentée en modèle égérique. Non, vraiment, pratiquement que du mal à dire de ce film très oubliable, formaté et privé de sève.   (Gols - 15/01/11)

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