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21 novembre 2010

Vénus Noire d'Abdellatif Kechiche - 2010

19545806_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20101021_123414Si Kechiche, en 3 films, est entré dans mon Panthéon personnel, il faut bien dire qu'avec Vénus Noire il perd un peu des points. Ambitieux, habité d'une saine colère, intelligent et fort bien mis en scène, certes le film l'est, mais il y a là-dessous un goût pour l'excès et un flou dans le discours qui font perdre énormément de finesse à un cinéaste qui avait su pourtant jusque là se montrer très subtil. Il est encore une fois question d'exploitation des corps, dans toutes ses acceptions : ça retrace la courte vie de Saartjie Baartman, Africaine exposée dans les foires en tant que "Vénus hottentote" au XIXème siècle. Ses différents patrons, puis les scientifiques qui veulent étudier ce spécimen, puis les hommes dans leur ensemble, useront jusqu'à la corde cette femme mutique, que Kechiche réduit pratiquement d'ailleurs à son seul corps : la belle est privée de parole ou quasi, et la caméra préfère nous montrer son visage fermé, ses énormes fesses qui font la risée du public, son corps étonnament grâcieux malgré son énormité.

19509488_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20100914_105656C'est en quelque sorte une prolongation sur 2h45 de la scène de la danse du ventre de La Graine et le Mulet. Mais la comparaison s'arrêtera là : là où le regard sur le corps de Hafsia Herzi nous renvoyait avec finesse avec notre propre regard sur "l'Autre", ce film-là enfonce le clou avec beaucoup trop de vigueur. Très vite, on comprend l'erreur de Kechiche : nous faire culpabiliser de regarder Saartjie, nous rendre honteux de notre propre regard de spectateur, avec comme sous-texte politique : "c'est à cause de notre regard exotisant que l'esclavage perdure, que cette femme est spoliée, humiliée, c'est la société du spectacle qui asservit les corps des femmes et des Africains". Discours certes intéressant, mais qui s'avère quand même un peu gonflé ici, voire trop facile : on nous demande d'aller voir un film, puis on nous culpabilise de l'avoir fait. Si Kechiche est très bon quand il s'agit de fustiger notre bonne conscience de gauche (les gusses qui font un procès au "patron" de Saartjie au seul moment où elle n'est pas exploitée, alors qu'ils ne sont pas là aux pires moments), notre regard sur le "bon sauvage", il l'est moins quand il s'agit de monter un vrai discours moral. Si le travelling est une affaire de morale, comme dit Godard, Kechiche se vautre assez gravement : il nous livre même quelques scènes assez complaisantes, concupiscentes même dans leur excès, comme cette troisième exhibition de Saartje à Paris, 19509485_jpg_r_760_x_f_jpg_q_x_20100914_105655au milieu de libertins, que la mise en scène étend jusqu'au malaise sans raison, juste pour nous rendre honteux de la regarder. "C'est que du spectacle", affirment ébahis les exploiteurs de Saartjie quand on leur reproche leurs exactions ; Kechiche mériterait bien qu'on lui renvoie son propre discours à la gueule (le metteur en scène en tant qu'exploiteur des corps, voyez ?)

Bon, ceci dit, on ne peut bien sûr qu'admirer Vénus Noire de plein de points de vue : quelques scènes sublimement filmées (le dialogue avec le journaliste, en gros plans très serrés sur fond noir, qui captent l'émotion avec une énorme vérité ; la rencontre lumineuse avec le dessinateur), une direction d'acteurs comme toujours exemplaire, une tenue constante dans le scénario et dans l'esthétique (même si ces clairs-obscurs me semblent un peu usés, déjà vus dans ce type éternel de reconstitution). On sent que Kechiche n'a rien perdu de son talent ; il s'est juste un peu égaré dans ses discours, un petit recentrage devrait suffire.

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