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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
23 octobre 2010

L'Homme des Hautes Plaines (High Plains Drifter) (1973) de Clint Eastwood

high_plains_drifterL'Homme des Hautes Plaines est un très grand western et un très grand Eastwood (une Lapalissade ?). Rarement vu un tel portrait de desperado qui va laminer une ville à lui tout seul. Véritable personnage démoniaque, héros ultra antipathique - cette scène de viol au début du film a dû faire grincer des dents - Eastwood parvient à donner à son personnage vengeur une densité et un charisme d'anthologie. Sa voix est un programme à elle toute seule (voir ce film en version originale, par pitié) et je ne dis pas cela seulement parce que le premier mot qu'il prononce est "beer"...



Si l'on met un peu de temps à assembler toutes les pièces du puzzle pour comprendre les motivations du personnage, son côté jusqu'au boutiste fait de cet "étranger" un des personnages les plus forts et les plus mythiques du westernhighplains américain : sa vengeance ne recule devant aucun pardon de quelque sorte que ce soit et il faut le voir piller cette ville dont il fait payer à ses habitants le prix fort : non seulement coupable du massacre d'un homme qui était un grain de sable dans les intérêts économiques des puissants de la ville, c'est surtout la lâcheté de chacun qui se voit condamnée en bloc : comment est-il possible de laisser crever sous ses yeux un homme parce que les hommes de pouvoir en ont décidé ainsi ?; comme dirait mon collègue, c'est un film hautement politique qui pointe du doigt la responsabilité de chaque citoyen, dans ses choix et surtout -plus fort - ses non-choix, son inaction.

Capt_film

Visuellement le film fourmille également d'idées extrêmement fortes, à l'image de cette ville rebaptisée l'Enfer entièrement repeinte en rouge... L'apparition quant à elle d'un Eastwood bras vengeur et sans concession dans une nuit éclairée par les feux de l'enfer reste définitivement gravée dans la mémoire. Unité de lieu, unité d'action - bon je fais l'impasse sur l'unité de temps - cette tragédie d'un personnage hirsute qui semble venir d'outre-tombe renferme également des dialogues de folie, lapidaires, drôles, magnifiques :

Mordecai: Et après qu'est-ce qui se passe?
L'étranger: Hmmm?
Mordecai: Qu'est-ce qu'on fait quand c'est fini?
L'étranger: Ben vous vivez avec. (Then you live with it)

- J'ai 18 personnes dans mon hôtel, où vont-ils aller?
- Dehors.

Le Shérif: J'ai besoin de vous parler.
L'étranger: De quoi?
Le Shérif: De Billy Border.
L'étranger:Je ne connais pas cet homme.
Le Shérif: Justement, vous avez raté l'occase; vous l'avez descendu hier.

Capt_Image

Un grand classique - définitivement politique.   (Shang - 22/07/07)


 Grand film politique effectivement, même si, comme le signale notre camarade karamzin en commentaire, Eastwood  pique beaucoup à High Noon de Zinnemann. Cette histoire de responsabilité collective de toute une communauté, capable de contempler puis d'enterrer passivement son passé de violence, rappelle quelques hauts faits, américains d'abord, universels ensuite. D'où une jubilation totale de voir le personnage d'Eastwood venir régler ses comptes à cette population veule et vile, sans aucune forme de pitié ou de délicatesse. Clint renouvelle merveilleusement le personnage mutique des films de Leone : à force de mystère, d'opacité morale, le cow-boy solitaire est devenu une pure idée, un concept, une simple surface cinématographique sur laquelle on peut plaquer toutes les lectures possibles : image de la responsabilité collective, donc, mais aussi de la vengeance aveugle, de la Mort elle-même (la dernière réplique : à un gars qui lui demande son nom, il répond : "tu le connais déjà").

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High Plains Drifter, sous la force de ce concept, devient un film abstrait, très expérimental, à l'image de cette musique déstructurée qui forme le thème principal. La ville de Lago (on n'est pas loin du salaud d'Othello) est un espace beaucoup plus mental que concret, peuplé de grands archétypes beaucoup plus que de réels personnages : les enfants, complètement absents comme si la ville était devenue stérile après son acte de barbarie, sont remplacés par un seul personnage, un nain dérisoire qu'Eastwood va bombarder à la fois maire et sheriff, ce qui montre bien sa vision de la hiérarchie politique ; le lac qui la borde semble être une image du Styx lui-même, et d'ailleurs les abords de  la ville sont pratiquement occultés par une utilisation du flou, duquel sort le personnage au premier plan et dans lequel il retournera au dernier (les seules exceptions à cette règle de lieu sont à mon sens des erreurs : ce sont les plans montrant les trois bandits vengeurs sortir de prison et traverser le pays pour rejoindre Lago) ; cette couleur rouge qui recouvre la ville semble bien également très symbolique, tout autant que photogènique à mort...

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Bref, Eastwood utilise un genre peu réputé pour son intellectualisme, le western, pour livrer un film-laboratoire, symbolique, érudit (les nombreuses allusions bibliques qui émaillent le scénario). Il n'en oublie pas pour autant de rester spectaculaire, grâce à cette mise en scène tonique, caméra à l'épaule souvent, angles inattendus (le gars qui se fait fouetter en caméra subjective), style utilisant souvent le grotesque, l'impur, le glauque, à la manière de ses maîtres italiens ; grâce à un humour au taquet ; grâce, comme le disait Shang, à une science du dialogue impeccable dans sa concision ; et grâce à une belle sensibilité de regard. Seuls bémols : les personnages, très vite tracés, caricaturaux, qui intéressent peu Eastwood, et qui laissent peu de place aux acteurs ; et toujours cette moralité douteuse, entre virilité mal placée (la fille qui se fait violer et qui adore ça (alors que visiblement ce cow-boy est un éjaculateur précoce), c'est pas d'une grande subtilité) et postures réactionnaires (manichéisme et populisme nietszchéen : se faire justice soi-même, parce que les bons doivent châtier les méchants, le sine-qua-non politique eastwoodien de ces années-là). Mais ma foi, on ne demande pas non plus à un western américain d'être de gauche, je veux bien l'admettre, et on regarde cet objet audacieux avec tout le respect qu'il mérite.   (Gols - 23/10/10)

All Clint is good, here
Welcome to New West

Commentaires
O
Magnifique "western crépusculaire" (comme il a beaucoup été dit pour Unforgiven et alors que l'expression semblait avoir été inventée dans les années 1990...).
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K
ils sont fordiens les personnages les plus forts et les plus mythiques du western américain. quant au meilleur film "hautement politique qui pointe du doigt la responsabilité de chaque citoyen, dans ses choix et surtout -plus fort - ses non-choix, son inaction", c'est le train sifflera trois fois de zinnemann, merveilleusement critiqué ici d'ailleurs (quand ça m'plait, je sais le dire aussi).<br /> eatswood lui, il est juste bon quand il range ses flingues de justicier, son chapeau de cowboy, son imper de flic et tout le barda des maîtres de guerre, du moins, c'est mon avis.<br /> bonne fin d'aprem... (vive loach!)
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