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26 juin 2010

En Avant Jeunesse (Juventude em Marcha) de Pedro Costa - 2008

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Ah c'est sûr que Costa n'est pas le cinéaste le plus facile à aborder de la chrétienté, et qu'il faut s'armer d'une certaine dose de motivation pour regarder En Avant Jeunesse et l'apprécier à sa juste mesure. Mais si on accepte de se laisser entraîner dans ces rythmes lentissimes, si on accepte les moments d'ennui, si on veut bien reconnaître que la cinéma a cette valeur unique de savoir nous faire pénétrer dans d'autres tempos, dans d'autres temps, alors on ne peut que ressortir de cette expérience fasciné et impressionné. Comme à son habitude, Costa ne fait aucune concession à son public : son film, tu l'acceptes, ou tu sors. A l'instar de ses maîtres, les Straub, il a une conviction, un but, et reste le guidon braqué dessus jusqu'à la fin, même si il perd au passage le public impatient et facile.

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En Avant Jeunesse joue merveilleusement sur le fil entre documentaire et fiction : on y assiste aux errances d'un vieux Cap-verdien exilé dans un taudis de Lisbonne ; le taudis en question, tout comme le quartier (celui où on a vu évoluer les personnages de Costa au fil des films), va être rasé, tout le monde est relogé dans des HLM fades de la banlieue. Ventura est même un des derniers résidents du quartier, avec un ou deux fantômes hébétés ; il entreprend une tournée de ses enfants, dont on n'arrive pas vraiment à savoir exactement le nombre, ni même s'ils sont réellement ses enfants ou une famille fantasmée. Ca, c'est le scénario, qui n'a que très peu d'importance dans la qualité du film : peu importe si Ventura est fou, peu importe si ses rencontres sont réelles (les acteurs sont amateurs et jouent leurs propres rôles) ou rêvées. On décroche d'ailleurs très vite de ces dialogues qui partent en eau de boudin dans les deux secondes, de ce passé égréné au fil des 2h40 de métrage et qui ne résoud rien du mystère attaché à Ventura. Ce qui importe, c'est la mise en scène, l'incroyable précision visuelle de Costa, qui livre ici son film le plus splendide, le plus ambitieux formellement.

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Les cadres sont franchement extraordinaires, conçus comme des tableaux grande époque (qu'on pourrait situer entre la Renaissance, pour la lumière oblique qui tombe sur les visages, et le Sicilia des Straub, justement, pour le jeu sur les perspectives et l'immobilité qui brouille sans arrêt les repères). On ne cesse de s'ébahir devant cette construction incroyable de chaque séquence, devant la disposition scientifique des acteurs dans l'espace de l'écran, devant la subtilité des lumières, des couleurs. Austère, le film l'est indéniablement, mais d'une austérité confinant au jansénisme, c'est-à-dire au mysticisme total. Car ces visages tourmentés, tournés vers le ciel, ont quelque chose qui rappelle les Pietas de Raphaël, les gros plans de Dreyer, une douleur cosmique étonnante dans un tel sujet : Costa semble relier le trivial (la misère complète du bas-peuple lisboète) au grandiose (Dieu, oui), et semble enfin avoir trouvé la grandeur de son cinéma, déjà en filigranne dans La Chambre de Vanda ou Ossos. Du coup, ces rythmes interminables prennent tout leur sens dans le film : on prend le temps de faire exister un cadre, de lui donner une grandeur ; on prend le temps de la contemplation, tout simplement, luxe assez rare dans le cinéma actuel. Les plans séquences complètement vides qui apparaissent si souvent dans le film (Vanda qui regarde le télé, avachie, bouffie, maugréant contre tout ; cette lettre d'amour répétée au moins 5 ou 6 fois ; ces personnages figés dans un espace restreint) sont hallucinants de justesse : on les regarde quelques minutes, puis l'ennui s'installe, puis une sorte de fascination mystique vous prend à la vision de cette absence de concession, et on les termine bouche bée. Finalement, on sent que En Avant Jeunesse est une sorte d'épopée dans un verre d'eau, un film quasi-fordien dans sa façon d'ancrer les êtres dans un territoire donné, aussi minable soit-il. En l'occurence, ce territoire est constitué de pièces crasseuses, de murs sales, ou au contraire de paysages urbains nets à faire peur ; avec toujours, à l'intérieur, Ventura, le "Mammuth" portugais, qui oppose sans esbroufe sa présence génante et révolutionnaire à ce monde en perdition. Costa livre un film jusqu'au-boutiste qui devrait énerver pas mal de gens : moi, il m'a scotché. 

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