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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
28 novembre 2017

L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (2009) de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea

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Je guettais la sortie - en DVD - de ce doc sur le tournage du film de Clouzot depuis un bon petit moment, et franchement me voilà comblé tant j'ai pris un immense plaisir à découvrir les images - et les essais - de ce film mort-né. Je savais que le tournage s'était révélé un véritable... enfer à cause des désidérata du père Clouzot, ce que je ne savais point en revanche, c'étaient toutes les expériences - visuelles et sonores - dans lesquelles le cinéaste avait osé se lancer avant le tournage de cette oeuvre maudite. En pleine Nouvelle Vague, à l'heure où l'improvisation lors des tournages semble être le maître-mot - comme le rappelle d'ailleurs justement le doc -, Clouzot ose se livrer, en amont, à un véritable laboratoire de recherche cinématographique pour tenter de traduire les visions et les troubles pathologiques de ce jaloux d'anthologie. Ayant reçu carte blanche de la part de la Columbia qui ne devait pas vraiment savoir où elle mettait les pieds, Clouzot se lance dans des expérimentations... de folie et constitue deux équipes de recherche pour explorer des voies inédites au niveau du travail sur l'image et sur le son.

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Le résultat est relativement bluffant, et ce d'autant que cela part franchement dans tous les sens. On sent bien d'ailleurs qu'au bout d'un moment Clouzot ne semble plus vraiment savoir dans quelle direction il va, prenant un simple plaisir à tester un maximum de choses : du coït traduit par des effets de zoom de plus en plus rapides sur une création contemporaine à l'utilisation des vêtements en plastique transparents dans lesquels il fait mouvoir ses personnages féminins, en passant par d'hallucinants jeux de lumières aux effets stroboscopiques (j'ai pas de mots plus courts) sur le visage de la star Romy, il faut avouer qu'on en prend plein les yeux, même si finalement (et peut-être que tout le plaisir est là...) tout cela ne débouchera sur... rien (Clouzot utilisera tout de même certaines de ces recherches dans son ultime film La Prisonnière dont je ne garde pas franchement un souvenir impérissable).

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Il faut reconnaître que la photogénie et la grâce de Romy Schneider y sont pour beaucoup, et qu'elle rayonne littéralement lors de ces essais multicolores. Elle semble se prêter au jeu avec une réelle docilité même si plus tard, apparemment, lors du tournage les engueulades entre Clouzot et la Romy furent légion. Reggiani, lui, craquera purement et simplement. Même si Clouzot semble avoir fini par totalement s'empêtrer dans ses délires créatifs mégalomaniaques (mais à quoi bon vouloir tempérer un génie...), les quelques images qu'il nous en reste sont un pur bonheur : cette course infernale de Reggiani sur ces petites routes du viaduc de Garabit alors que sa douce fait du ski-nautique avec ce "bellâtre" local constitue à n'en point douter une des plus belles séquences que j'ai vues ces dernières années - et j'ai vu quelques films, j'avoue. Certaines séquences mettant en scène Romy Schneider et Dany Carrel possèdent également une force érotique troublante - et ce peut-être encore plus si on prend en compte l'époque du tournage. Le problème de Clouzot - véritable chieur insomniaque qui ne laissait jamais en paix cette impressionnante équipe technique - est d'avoir voulu sans cesse peaufiner des scènes déjà tournées, l'amenant finalement à méchamment tourner... en rond et l'amenant, lui-même, à l'infarctus. On sent bien, de toute façon, à quel point il était devenu au bout d'un moment totalement ingérable, et que le tournage, son train dans la nuit, ne pouvait finir que dans le mur...

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Les interviews des différents techniciens qui ont participé à ce projet sont toujours éclairantes - dans leur évocation des tests effectués avant le tournage à leur description de l'atmosphère qui régnait sur le tournage -, je reste en revanche un peu plus sceptique sur l'intérêt des scènes jouées par Gamblin et Bérénice Béjo - sans remettre en cause leur talent - pour tenter d'illustrer certaines séquences non tournées : cela nous fait soudainement sortir de l'ambiance de ce tournage, et cela n'apporte pas grand-chose à l'aventure cinématographique dans laquelle a fini par se noyer Clouzot - en plus, les personnes désirant découvrir le scénario dans son ensemble peuvent toujours se rabattre sur le film de Chabrol, un de ses tout meilleurs même s'il est loin de faire preuve d'autant d'audaces. Certaines images expérimentées par Clouzot sont tellement troublantes qu'on était prêt à s'en faire une double ration. Nonobstant, ce doc qui exhume cette oeuvre inachevée demeure une très grande idée et un très grand plaisir pour tout cinéphile qui se respecte, vus le charme et l'originalité qui se dégagent, plus de quarante ans après, de la plupart de ces images restées longtemps dans le noir absolu.   (Shang - 09/05/10)

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On n'attendait pas Clouzot sur ce terrain-là, lui qui fut certes un grand cinéaste (que je revois à la hausse la vieillesse venant), mais qui fut loin d'être un novateur. Etonnant donc de le voir tester ces bidules kitschs et psychédéliques avec une Romy Schneider peut-être un poil perplexe mais docile. La plupart des effets marche moyen, mais certains sont parfaits : faire tourner un projecteur dans la tronche de Romy pour en changer les nuances d'expression, par exemple aurait pu donner de bien belles choses à l'écran. Dès le départ, on sent le projet fragile : filmer une histoire en noir et blanc, et en filmer la part noire, fantasmée, subjective (les délires de jalousie de Reggiani) en couleur, grâce à ces trucages dignes d'un clip de Sheila, c'est pas forcément une riche idée. Clouzot va donc se cogner les dents là-dessus, et comme il est doté de la mauvaise foi des génies, il met ça sur le dos de ses acteurs, des producteurs, de son perfectionnisme, et au bout du compte de son infarctus (mal qui sent l'anosognosie, voir dico). Du coup, ce doc passionnant semble constitué de deux parties : une partie sur les essais formels très marqués, et une autre sur un film de facture plus classique, en noir et blanc, et on a du mal à imaginer comment les deux univers, tellement différents, peuvent coller.

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Si les tentatives en couleurs sentent le kitsch, on n'en dira pas autant des bouts de film en noir et blanc, qui annoncent pour le coup un très grand film. Oui, les courses de Reggiani le long du viaduc constituent une image qui vous rentrent dans l'oeil, un mélange entre la modernité de Resnais et le force graphique de Magritte. On peut y ajouter cette image renversante de Romy nue allongée sur des rails en très gros plan, un train fonçant sur elle, ou cette image obsessionnelle, qui revient sans cesse dans le doc, sur la même en train de pratiquer le ski nautique. On sent que la jalousie du personnage principal pouvait beaucoup plus s'incarner dans ces plans-là que dans les expérimentations douteuses. Peut-être conscient de son échec, mais fasciné par la liberté qu'on lui accordait et par la photogénie de Romy Schneider, Clouzot a voulu s'enferrer dans ce projet, qui s'est effondré de lui-même. Pas d'explications d'ailleurs quant à la non-reprise du tournage après guérison du cinéaste, voilà un film qu'on ne verra jamais et c'est bien dommage. Les réalisateurs ne mentionnent pas du tout le film de Chabrol (pâle copie de ce qu'a tenté Clouzot), et font rejouer les scènes par Gamblin et Béjo, effectivement pas une très grande idée malgré la bonne volonté des deux. Au final, un doc incomplet, qu'on aurait bien aimé voir prolongé par une analyse plus fine des caractères en place, des conditions de tournage, de la place de ce film dans l'histoire du cinéma à ce moment précis, mais un doc bien intéressant quand même, qui donne à voir ce qui arrive quand on s'accroche à un projet qui prend l'eau de toutes parts, et qui témoigne d'un grand film qui ne s'est pas fait.   (Gols - 28/11/17)

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