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4 mai 2010

LIVRE : La Somnolence de Jean-Pierre Martinet - 1975

9782912667717C'est le premier livre de Martinet, et -comment dire ?- c'est déjà un truc de grand malade. C'est en fait un peu la même impression que pour Jérôme : commencer un roman de Martinet, c'est être happé dans une spirale qui vous fait méchamment du mal, sans trop savoir comment on va en sortir. Cette fois encore, l'écriture vous happe en quelques pages et vous entraîne dans un tourbillon impressionnant : la précision incroyable de la ponctuation, cette façon de plaquer d'énormes paragraphes écrits d'un trait, cette musique à la fois repoussante et attirante mise en place par les répétitions des mêmes mots, des mêmes phrases, tout contribue à vous attraper par les roubignoles et à ne plus vous lâcher jusqu'à la fin. On ressort de ce machin monstrueux complètement lessivé, haineux, en colère, avec une folle envie de dézinguer tout ce qui peut ressembler à de l'Humain : mission accomplie, la haine de l'humanité semblant bien être le but ultime de Martinet, décidément pas le plus gai des écrivains.

On suit les traces de Martha Kruhl, vieille femme enfermée dans sa chambre et qui vocifère à qui mieux mieux contre un homme (son amant, visiblement) qu'elle accuse de complot contre son existence. Les flots d'injures se transforment rapidement en paranoïa aigüe, puis en folie pure, puis en pulsions meurtrières et sexuelles, puis en nihilisme total. On passe 250 pages dans la tête de cette démente, qui revient sans cesse sur ses frustrations (l'interdit sexuel, la foi en un Dieu vengeur et dictateur, la pulsion meurtrière), sur ses obsessions (des filles aux cheveux rouges qui ricanent, la dévotion à un père rigoriste) et ses tentations (tuer, boire, mourir, en gros). C'est peu de dire que le séjour est inconfortable : Martinet se fout comme de son premier cocktail molotov du plaisir du lecteur ; lui importent seulement le flux, la musique infernale qu'il met en place, la rythmique. La trame se délite peu à peu, comme dans Alice au Pays des Merveilles, dont il est fait très souvent allusion là-dedans, comme pour en montrer le négatif, la dégénérescence. On se retrouve alors devant un pur objet formel (même si le personnage de Martha reste toujours "crédible"), comme si Boulgakov avait rencontré Kafka dans un tableau de Bosch. Tout est massacres, crasse, domination de l'homme par l'homme, déréliction physique et morale. Et pourtant, c'est drôle, jouissif comme une chanson punk, ricanant et révolutionnaire dans le vrai sens du terme. Même moins tenu, moins puissant, moins ambitieux que Jérôme, ce roman est incomparable, et cet auteur est unique. Une baffe.

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