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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
20 janvier 2023

Les Saisons (Vremana Goda) d'Artavazd Pelechian - 1972

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Sur le papier, pas le sujet le plus sexy de la planète : Pelechian filme la transhumance, avec tous ses rites et toutes ses figures, depuis les longues cavalcades de troupeaux jusqu'au dur labeur de nos hommes, en allant jusqu'à une cérémonie de mariage champêtre (tiens). On se dit qu'on ne va peut-être pas s'éclater des masses. C'est tout le contraire : le cinéma de Pelechian, dirais-je en synthèse après en avoir vu... 2, c'est une sorte de pastorale infernale qui doit autant à la beauté de la nature qu'à l'horreur du monde. La transhumance n'est ici que prétexte à une ode bouleversante à la nature et aux hommes, qui se teinte très vite d'un vernis expérimental du meilleur effet.

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Rien de crâneur pourtant : la caméra suit les troupeaux, regarde les hommes bosser, a priori sans rien de plus. Mais c'est cet acharnement à regarder tout comme une sorte de cosmogonie immense qui fait toute la fulgurance de la chose. Si les animaux passent sous une montagne, on est happé par les ténèbres, et on se heurte (comme le caméraman) à des formes totalement abstraites, à des flashs de lumière, à un chaos indéfinissable ; si le fleuve fait un obstacle au passage des moutons, on suit dans la longueur les gestes des éleveurs qui les font passer un par un, de cheval à cheval ; et si l'un des moutons tombe à l'eau, alors on regarde longuement un type se jeter dans le torrent pour le rattraper. Les Saisons, c'est une perpétuelle lutte des hommes contre la nature, et une infinie complicité entre eux et elle. Les êtres humains, les animaux et les éléments naturels (déchaînés la plupart du temps) se fondent les uns dans les autres, dans une osmose qui apparaît dangereuse et infernale, mais dans une beauté à couper le souffle.

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C'est difficile à décrire, mais ce sont les ralentis qui sont ce qu'il y a de plus beau là-dedans. De temps en temps, sans prévenir, Pelechian passe au ralenti, presque à l'arrêt sur image, et c'est splendide. Tous les plans de la fin, avec ces gusses qui dévalent des pentes neigeuses avec des moutons dans les bras (l'expression saute-mouton prend ici tout son sens) au ralenti et sur la musique de Vivaldi, rentrent immédiatement dans l'oeil, et on est complètement happé là-dedans, simplement grâce au rythme, à la puissance visuelle induite par le ralenti. Pelechian ne dit rien sur la transhumance, on n'est pas ici dans l'information ; on est dans la poétisation du monde, dans un hommage effrayé et admiratif à ces gens qui ne reculent devant aucun obstacle, aucune galère pour accomplir leur travail. On ne sait plus, finalement si on vient d'assister à une pastorale joyeuse et virile (ces hommes qui courent en traînant des bottes de pailles grosses comme des maisons le long de la pente) ou à un aperçu de l'enfer (cette obscurité, ces fleuves impétueux, ce chaos constant, ce visage déchiré d'une jeune mariée). Tout ce qu'on sait, c'est que ces images sont immédiatement mythiques, un peu comme si Giono avait réussi à mettre en image l'écriture du Grand Troupeau ou du Chant du Monde. Pelechian est à cette hauteur, oui messieurs-dames. Je vais me précipiter sur ses autres films. (Gols 23/04/10)


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Gols s'étant fait un devoir de me faire lire Les Saisons de Pons (le jour où je me suis tiré une balle... je plaisante : un chef d'oeuvre), il récidive en me forçant, couteau sous la gorge, à mater Les Saisons de Pelechian. C'est enfin chose faite et c'est vrai que c'est une épreuve en soi ; enfin, une épreuve, il ne faut rien exagérer par rapport à ce qu'endurent ces pauvres moutons dans les bras de paysans qui semblent ne jamais avoir trop pensé de leur vie à l'âge de la retraite, les bienheureux (tout calcul fait, j'aurai fini de cotiser à 91 ans si je commence demain - je ne me plains point, mais tout de même, cela me semble limite abusé). Mais revenons à nos moutons : oui, ces images de paysans arméniens se noyant quasiment pour sauver leur bête dans des torrents, dévalant des pentes  en s'esquintant le cul avec des moutons dans les bras ou affrontant des tempêtes de pluie pour faire transhumer des troupeaux sont aussi impressionnantes que délirantes. On assiste, dans ces scènes de "déplacement" (l'Arménien sait de quoi il parle) à la fois à quelque chose de fou, de violent, d'inimaginable mais avec toujours cette sensation que l'essentiel, quelles que soit les conditions, est d'aller de l'avant et de sauver tout ce qu'il est possible de sauver. Le gars Pelechian, on le sait, a notamment mis en scène ces bergers en train de faire les fous dans les remous de ce torrent (Herzog est à côté un gamin...) : il faudrait être bien couillon pour traverser dans ces conditions surtout quand il y a un pont dans la vallée... Mais forcément, on l'aura compris, ce à quoi il touche ici, dans ces images où l'homme et la bête sont liés, dans ces ralentis où chacun, en équilibriste, tente de ne pas trop morfler tout en sauvant son bien, c'est à la vérité "extatique" (comme disait l'autre précédemment cité) de ce peuple, toujours allant de l'avant, toujours combattif (même les mariages ressemblent plus à des combats de boxe qu'à de tranquilles déjeuners sur l'herbe : on s'embrasse comme on se mettrait une beigne), bravant les éléments, les aléas, comme si la nature humaine était faite pour braver, pour combattre les forces de la nature, les forces du cosmos. L'ami Gols, toujours suspicieux de ma bonne foi, et il a raison, avait peur que je fasse la fine bouche devant ce reportage monté à la fois de façon retentissante (les multiples cut qui donne un rythme très soutenu à la chose) et poétique (la désintégration des nuages qui semblent suivre les retombées des mélodies) : je le rassure tant il est difficile en effet de ne pas regarder la chose bouche bée en notant autant au passage la force surhumaine de ce peuple que la métaphore sur leur histoire infernale qui éclabousse chaque image. Donc, CQFD, un nouveau sage et pertinent conseil. Les quatre saisons de Vivaldi et les pizzas, je connais, un nouveau conseil peinture sur le même thème ? (Shang 20/01/23)

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Commentaires
G
Rhaaaa dans mes bras, mon gars.
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B
Vive Peleshian!<br /> <br /> Il faut aussi voir "Au début", "Notre siècle" et "Fin". Il y développe une sorte de montage à distance qui m'avait bcp marqué (pr Au début surtout).<br /> <br /> Bon visionnage ;)
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