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21 février 2010

La Terre tremble (La terra trema : Episodio del mare) (1948) de Luchino Visconti

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J'avais un peu peur des 2h30 qui s'annonçaient à l'horizon, eh bien que nenni, on s'immerge totalement dans la vie maudite de cette famille, les Valestro, qui vont payer le prix fort de leur rébellion contre les grossistes, seuls contre tous. Un combat pour un miminum de décence pour contrer l'exploitation systématique de ces humbles pêcheurs de père en fils, mais définitivement "y'a personne là-haut, y'a personne bordel..." Difficile d'échapper à la mention de néo-réalisme en évoquant cette oeuvre, même s'il ne faudrait point, au passage, oublier la magnifique façon que Visconti a pour filmer chaque plan. Pour preuve ce magnifique plan séquence au début du film lors de la criée, où la caméra du cinéaste passe l'air de rien d'un groupe à un autre avant de s'élèver pour donner une vision d'ensemble absolument saisissante de la scène. Tout l'art de Visconti est dans le montage de ces séquences, où tout en variant subtilement les angles de prise de vue, la scène continue de couler d'un seul jet, comme si le récit était continuellement pris sur le vif. Le film en DVD bénéficiant d'une version restaurée absolument parfaite - superbe noir et blanc aussi bien dans les séquences nocturnes de pêche que lorsque les scènes se passent sous cette lumière blanche qui éclabousse de ses feux la misère (lyrisme...)-, on est happé de bout en bout par ce destin cruel qui s'abat sur notre famille pleine de dignité.

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Le jour où Antonio, l'aîné de cette famille de pêcheurs, décide de se mettre à son propre compte, en hypothéquant au passage la maison familiale, on pense que c'est un véritable pas en avant, socialement parlant; il vient tout juste d'être libéré de prison après avoir sonné l'heure de la révolte lors d'une vente à la criée - magnifique plan où il jette à la mer la balance "déséquilibrée" des grossistes : il est temps de mettre fin à tant d'injustice - et même si au final aucun pêcheur ne le suit dans son entreprise, il semble bien parti pour montrer que les pêcheurs sont capables de prendre leur destin de main. La première pêche est proprement miraculeuse - il tombe sur un ban d'anchois qui pourrait garnir des pizzas pendant douze ans - et toute la famille s'emploie à mettre la main à la pâte pour mettre en salaison le butin. Seulement l'Antonio, légèrement euphorique, décide un jour de partir en mer alors que le vent souffle comme un dingue, et il reviendra, plusieurs jours plus tard, totalement bredouille, ayant perdu en route, mât, voile, filets, rames, la barquasse toute fracassée. Y'a pas eu mort d'homme, mais le tocsin a bien sonné sa perte. La famille ira ensuite de Charybde en Scylla - maison saisie, un jeune frère qui se barre, le grand-père qui meurt, la famille Valestro rejeté de toute part par les pêcheurs et les grossistes qui leur font payer cet excès de fierté - jusqu'à revenir à la case départ, devant même s'avilir un peu plus pour survivre... On est dégouté, on jette un regard noir à l'écran après que le mot "fine" est tombé et que le bruit de rames continue à résonner : pêcheur en Sicile c'est une putain de vie de galérien, clair.

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Les dialogues sont truffés de bons vieux proverbes ancestraux et lorsqu'Antonio décide de rompre avec le passé, on est tout de même prêt à parier avec lui qu'une nouvelle heure a sonné. Seulement, tu parles, ces chiens de proverbes ont la vie dure et finiront par triompher... On suit également, en parallèle, toutes sortes d'amourettes - entre Antonio et Nedda, entre l'une de ses soeurs avec un pauvre maçon et une autre avec un sergent de ville - et à chaque fois le constat sera brutal : tout espoir d'union dépend uniquement de sa position sociale, et Antonio sera le premier à en payer les frais. Même l'amour n'est en rien salvateur et les Valestro d'apparaître de plus en plus comme des anchois prises au piège de cette société sclérosée. La fin est absolument terrible, et même si les grossistes sont directement associés à la politique mussolinienne qui vient de mener le pays à la ruine, on perçoit à quel point la loi du plus fort a encore de beaux jours devant elle. Le triomphe ricanant des grossistes qui emploient Antonio et ses frères est littéralement odieux, et on en arrive à souhaiter que la Terre tremble un peu plus pour engloutir ces "éclats de rires énormes", véritables "gouffres de l'esprit" disait l'autre... Un film qui, j'ose, n'a po pris une ride et aurait encore sa place en intro à tout bon meeting rougeoyant qui se respecte. Respect total, Comte Luchino.      

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