La Légende de Zatoichi (vol. 23): Voyage à Shiobara (Zatôichi goyô-tabi) (1972) de Kazuo Mori
Episode assez classique dans son déroulement, mais avec quelques piques de bravoure assez savoureux. Notre masseur aveugle hérite d'un gamin après avoir sauvé une femme qui vient de se faire détrousser : de masseur à accoucheur il n'y a qu'un pas, et Zatoichi de plonger entre les cuisses de la donzelle - "ne soyez point pudique, je suis aveugle" - pour extraire le bébé. La femme a heureusement le temps dans un souffle de lui souffler le nom d'un village et du père, et notre héros de se mettre en route : un père qui tarde à revenir au village, sa soeur très mimi qui fait patienter notre Zatoichi - guère plus en veine sentimentalement, malheureusement - , un policier-potier (!), Tobei, qui joue au protecteur auprès de notre masseur, et un sempiternel parrain (excellent Rentarô Mikuni avec sa démarche toute de traviole et sa figure grimaçante) qui fait régner la terreur dans ce village. Zatoichi va avoir du pain sur la planche pour aider les uns et découper les autres.
L'épisode se déroule sur un bon rythme et sait varier les genres : le tête-à-tête "romantique" et mignon tout plein entre Zatoichi et la soeur - filmés chacun en gros blanc sur un fond flouté et une musique d'ascenseur (bah je suis dur, disons vintage alors) -, la bonne grosse comédie burlesque avec une troupe de saltimbanques qui se donne en représentation devant le parrain, et Zatoichi qui livre lui-même son petit numéro comique en mettant à poil les sbires du boss qui s'approchent un peu trop de lui, et le déferlement final de violence parfaitement réglé, avec les accélérations fulgurantes de notre héros qui laissent ses ennemis littéralement figés pendant deux secondes avant de se rendre compte qu'ils sont morts et s'écroulent platement... Le personnage de Tobei est sûrement le plus attachant, s'émouvant de la dévotion de Zatoichi envers cette femme - la tante du bébé qui doit 20 pièces d'or au parrain sous peine de devenir une prostituée - et cet enfant dont il a hérité. Malgré les reproches du père et du fils aîné (ce dernier tout jeunot était avec la mère au moment du vol et de l'accouchement, et pense que Zatoichi est un assassin - bêta le gamin) - l'un le défie au sabre, l'autre ne cesse de lui jeter des pierres -, notre héros va tenter jusqu'au bout de leur faire entendre raison. Touché néanmoins par les insultes constantes du gamin, il va rester sans réaction lorsque les hommes de main du parrain décident de l'attaquer : notre Zatoichi de morfler sa mère comme rarement, devant s'avilir comme un pourceau devant ces tristes clowns qui le traînent au bout d'une corde. Mais la vengeance sera terrible, et Mori conclue son film par un véritable festival de Zatoichi qui va décimer le milliard d'hommes qui l'attaquent : petit échauffement tout en douceur avec notre masseur qui prend la pose après chaque coup de sabre, puis qui se transforme en véritable dragon (il s'en fout d'avoir un masque, il voit po mieux) pour dévorer tout cru ses ennemis, et Mori de continuer à varier les plaisirs avec un combat sur terrain huileux puis sur fond infernal, le dragon Zatoichi prenant feu pour mieux réduire en morceaux (ou en cendres) ses vis-à-vis. L'ultime combat - à dix secondes du générique de fin - avec la figure classique du samouraï errant surdoué est tellement lapidaire qu'on a honte pour le pauvre homme...
Zatoichi s'en sort, fatalement, mais il est clair qu'il paraît on ne peut plus sans illusion sur la valeur de sa propre personne : toujours prêt à se sacrifier pour les autres et pour une certaine idée de la justice, il ne fait que peu de cas de lui-même, s'avilissant dans cet épisode à l'extrême. Heureusement que Tobei vient l'épauler pour partager sa vision de l'honneur et que Zatoichi sent tout de même peser sur lui le regard bienveillant de la tante de l'enfant : seules véritables petites satisfactions, vu à quel point il morfle dans cet opus, et ce uniquement pour arranger les affaires des autres - Zatochrist...? Un vingt-troisième opus d'un bon niveau, signé Kazuo Mori déjà responsable au passage du tome 2 et 11 de la série.