Suspiria (1977) de Dario Argento
Avant que les fans d'Argento se jettent sur moi une hache à la main pour me découper le coeur en ayant pris soin auparavant de tamiser la lumière, j'admets que je ne suis pas un grand fan du genre ni même du sieur. Attention, force est de reconnaître, en la matière, la composition des cadres, le travail sur les lumières, l'importance de la bande sonore, sans parler de ce festival de couleurs qui feraient passer un film de Beineix pour une pâle oeuvre en noir et blanc... Mais justement, on est tellement saturé par cet arc-en-ciel vif et primaire (gros gros budget que celui des gélatines), par cette musique infernale signée des Goblins (bon ben finalement, j'ai pas honte d'écouter Mike Oldfield...), qu'on se sent vite noyé devant ce déferlement formel alors que le fond est aussi mince que du papier d'argent. Oui, cette école munichoise est possédée par le mal (de lointains échos d'un autre temps, possible) où règnent des profs gaies comme des portes de prisons (...) et des serviteurs zélés inquiétants, incarnés par le fils de Frankenstein (sacrée tronche, ce Roumain) et le fils caché de Dave et Patrick Juvet (peut-être encore plus inquiétant).
Sans chercher à multiplier les scènes d'horreur brutes et frontales - finir poignardée douze fois, le coeur ouvert et pendue, ça doit faire mal quand même -, Argento tente de nous la jouer plus "subtil" en nous en montrant le moins possible pour en suggérer le plus... Ouais c'est quand même pas Tourneur non plus et trop de bruits inquiétants (de la deuxième à quatre-vingt douzième minutes) tue l'inquiétude... Notre pauvre ballerine américaine est toute stressée, on la comprend mais rien ne l'empêchait de sécher les cours vu l'ambiance mortifère des lieux. Quand, en plus, un spot rouge vient frapper en permanence la cuvette des toilettes, il est de bon ton de s'éclipser sans demander son reste. Mais nan, faut qu'elle comprenne, la bougresse, et Argento aura le malheur de ne pas laisser planer le mystère jusqu'au bout pour nous livrer un final plus comiquement gore que terrifiant. Reconnaissons tout de même que le type n'est pas un manchot, notamment dans les séquences filmées en plongée (les deux petites ballerines dans la piscine aussi vulnérables que des tétards, ce pauvre aveugle (le meilleur rôle de Gilbert Montagné à ce jour, d'autant qu'il finit en morceaux), à l'ouïe sûrement trop fine, qui va payer au prix fort sa rébellion (se faire bouffer par son propre chien, quelle horreur), mais j'ai eu bien de mal à aller jusqu'au bout sans étouffer de longs bâillements - couverts par la musique - devant cette esthétique de boîte de nuit vintage (moui, c'est un coup bas - peut-être que l'ami Gols, daltonien, serait moins choqué... ou verrait rien...). Bref, pas ma tasse de thé, ou mon expresso si vous préférez - mais cela reste un feeling très personnel, bien entendu (pas non plus envie de finir crucifié). (Shang - 06/02/10)
Pas plus client que mon collègue de Dario Argento, mais je dois reconnaître quand même que, à la revoyure, ce film-là est un de ses meilleurs. Le gars crée un univers complètement déconnecté du réel, un peu comme un Alice au pays des merveilles horrifiques, avec ses filtres impossibles (trois foulures de rétine, et pourtant je suis daltonien), ses cadres bizarroïdes, sa musique bruitiste incohérente, et pourtant il parvient à trouver quelques images parfaitement cauchemardesques, qui semblent directement reliées à notre cortex. Mes préférées sont concentrées sur le premier quart du film, dans cette longue scène d'ouverture sur-spectaculaire. A commencer par ces portes coulissantes à l'aéroport, élément à la con que Argento arrive à rendre effrayantes par le rythme de montage et les "correspondances" qu'il leur oppose sur le monde extérieur ; à continuer par cette fille terrifiée qui court à travers une forêt très graphique, entièrement faite d'arbres très droits ; ou par cette jeune fille seule qui cogne comme une furie sur une porte sans que personne ne lui réponde ; et à terminer par ce meurtre improbable, que Argento fait venir très lentement, dans un sens du rythme excellent. La pauvre Jessica Harper est plongée dans ces ambiances entre psychédélisme et gothique (le taxi tout droit sorti de Dracula), et aura bien du fil à retordre pour s'extirper des griffes et du rasoir de l'assassin, qui semble d'ailleurs agir lui-même dans un autre monde : le personnel de la pension voit s'accumuer les morts violentes en son sein sans en être inquiet plus que ça. Il n'en faut pas plus pour voir le film comme un long cauchemar fait par l'héroïne, danseuse déracinée qui doit s'adapter à cette culture étrange et à ce pays nouveau. Bon, c'est sûr que l'univers qui nous est proposé est, disons, formaliste, mais la qualité du film est d'arriver à être glauque au milieu des couleurs primaires et enfantines. Les scènes de meurtre, qui sont de toute évidence les seules à inspirer réellement Argento (en tout cas, il ne se foule pas sur tout le reste, par exemple la direction d'acteurs, affreuse), sont franchement impressionnantes et pas si éloignées que ça, dans leur tempo, dans leurs sens de la montée du suspense, d'un Hitchcock. Je me taperais pas ça tous les jours, non, mais une fois de temps en temps, il est bon de vérifier qu'Argento est quand même pas le dernier des crétins. (Gols - 29/11/18)