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9 janvier 2010

L'Homme de Londres (A Londoni Férfi) (2008) de Béla Tarr

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Avouons que chaque film de Tarr est une expérience artistique en soi et que le type est le champion du monde toute catégorie du plan séquence. Certes parfois cela tourne un peu à la démonstration, et il n'est pas rare d'écouter quelques strapontins claquer - mon chien notamment, seul autre spectateur dans la salle, a sauté deux fois du canap' pour voir s'il restait quelque chose dans sa gamelle : en pure perte ; seulement il est difficile de ne pas rester bouche bée d'admiration devant la construction millimétrique de chaque plan séquence (l'ouverture est jouissive) où l'on sent bien que notre homme a réfléchi à chaque détail - Brillante Mendoza pleure. Tarr épure considérablement la trame du bouquin de Simenon - tout en restant fidèle à son déroulement général - et donne forcément beaucoup plus de "profondeur", d'humanité serait-on presque tenté de dire, à son personnage principal notamment, qui semble porter le poids du monde sur ses larges épaules. En en modifiant également subtilement la fin (en coupant "l'épilogue" de Simenon), il accentue l'impression que cet homme, Maloin, observateur dans tous les sens du terme (professionnellement en tant qu'aiguilleur de chemin de fer dans sa tour, mais également personnellement tant il semble subir sa propre existence - dans la famille po jouasse je demande les Maloin...), est destiné - malgré cette opportunité incroyable de repartir à zéro - à rester "à quai" toute sa vie - ça fait deux fois que j'enquille le même jeu de mot dans la même journée, désolé. Rares sont les cinéastes, en tout cas, en captant simplement un regard, une allure, capables de les charger d'une telle force émotive - qu'il s'agisse du personnage de Maloin ou également de la femme de ce mystérieux homme de Londres ou encore de la fille Malouine (on peut rire, aussi, parfois).

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La première demi-heure est franchement sidérante de beauté : trois-quatre plans séquences (et encore), un noir d'encre de Chine, une musique sublimement inquiétante et envoutante (signée du fidèle Mihaly Vig), une lumière savamment dosée... L'homme de l'ombre observe soigneusement l'homme de Londres et on reste baba. Tarr ensuite insiste sur la solitude terrible de cet homme mutique : cette miraculeuse opportunité - il est en possession d'une valise bourrée de billets -, plutôt que de lui donner le sourire, lui ronge peu à peu les nerfs et on assiste à quelques séquences époustouflantes visuellement, certes, mais également au niveau des sons : Maloin, retranché dans sa tour, entend les pas inquiétants de l'homme de Londres gravir les premiers échelons de son échelle : on le voit alors s'approcher de ses manettes d'aiguilleurs qu'il va manier comme un dingue - s'il défoule ainsi son stress, on comprend aussi tout le côté aliénant de son travail dont il pensait, avec cette manne d'argent, sûrement, enfin, se défaire. La menace passe, mais le stress point. Les deux séquences d'engueulade avec sa femme sont d'une violence incroyable (surtout dans un film où les dialogues sont aussi parcimonieux), et Tarr a vraiment le don de nous faire ressentir toute la misère du monde, toute la détresse qui s'est accumulée entre les quatre murs de ce foyer... Dans le même ordre idée, le cinéaste densifie considérablement la femme de Brown - l'homme de Londres - et les deux gros plans sur son visage (lorsqu'elle se met à pleurer face à l'inspecteur qui lui parle (off) de son mari et l'ultime plan du film qui coupe deux bras) sont d'une intensité terrifiante.

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On pourrait véritablement disséquer tous les plans; notons simplement pour la forme et pour la route la confrontation, hors champ, dans la cabane, entre Maloin et Brown (seul Béla Tarr peut se permettre de filmer une porte en bois pendant cinq minutes en chargeant chaque seconde de suspense), séquence véritablement bressonienne et s'achevant sur ce formidable gros plan sur le verrou de la porte : Maloin, victime de lui-même, s'est laissé prendre à son propre piège, s'est comme enfermé dans son propre monde, sa propre logique. Le long travelling également sur Maloin, l'inspecteur et la femme de Brown (scène qui se trouve d'ailleurs dans le bouquin de Simenon), qui se rendent l'un derrière l'autre à cette cabane pour aller constater les dégâts, est absolument magique par ce petit côté mécanique, cadencé, irrémédiable, presque "somnambulique", comme si la logique du destin de Maloin ne pouvait que se conclure par ce lieu de "rendez-vous", le lieu du drame... Bref, comme d'hab, un travail d'orfèvre, un peu hypnotique parfois (ouais, pas après une journée de vendange, on est d'acord) mais toujours aussi captivant et gratifiant.

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