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14 décembre 2009

Frontière Chinoise (7 Women) de John Ford - 1966

vlcsnap_2009_12_14_18h22m26s225Je gardais un excellent souvenir de cette ultime oeuvre du grand John, vue dans ma fièvre adolescente ; j'étais en-dessous de la vérité : 7 Women est un pur chef-d'oeuvre, d'une beauté éblouissante, d'une finesse totale, d'une grandeur toute en dignité. S'il n'est pas toujours vrai que les grands cinéastes pondent leur meilleur film à l'automne de leur vie, ici ça se vérifie brillamment : on est dans le haut du haut du panier fordien, et du cinéma tout court d'ailleurs.

Des femmes entre elles. C'est ce qui frappe le plus là-dedans. Les hommes, cette fois-ci, sont soit des brutes, soit des lâches, et même si le scénario concède in extremis au seul rôle masculin américain un revirement de caractère vers l'héroïsme, Ford se concentre ici sur la grandeur féminine. Pour l'incarner, il choisit l'éblouissante Ann Bancroft : sa première apparition, légendaire, contient déjà ce mélange magnifique entre la pureté de la jeune femme et la fatigue désabusée de la vieille vlcsnap_2009_12_14_18h52m05s94briscarde ayant traversé les malheurs : Bancroft, c'est John Wayne au féminin, insolente, pleine de morgue, plantée dans ses bottes ; mais c'est aussi un bloc d'amertume, et une représentante d'un héroïsme viril qui viendrait suppléer celui, absent à l'écran, des hommes. Elle joue un médecin envoyé au sein d'une communauté de missionaires implantée en Chine, où la religion et la bien-pensance sont reines. Chacune des femmes vivant dans ce petit groupe a droit à son caractère subtil, à sa profondeur caché : une épouse acariâtre qui attend son premier bébé en geignant auprès de son ballot de mari, une vieille fille discrète et figée qui va être peu à peu gagnée par l'anticonformisme du docteur, une jeunette blonde comme les blés (grand plaisir de retrouver la Sue Lyon de Kubrick) qui va se montrer pleine de courage, et surtout la gouvernante de tout ce petit monde, immense personnage d'une belle complexité : engoncée dans sa religion et ses habitudes, elle refoule au plus profond ses tendances lesbiennes, transformant sa frustration en intégrisme religieux.

vlcsnap_2009_12_14_18h43m52s27Nos dames vont se trouver confrontées d'abord à une épidémie de choléra, puis à une invasion de barbares ricanants et sans pitié. La brutalité du film est extraordinaire : Ford va jusqu'au bout du désespoir, fermant peu à peu toutes les portes optimistes possibles, pour montrer ce groupe de femmes face au danger, à la terreur, à la violence. On ne peut s'empêcher de voir, dans ces exécutions massives perpétrées par les suavages, des jaillissements de souvenirs de la Shoah (ou peut-être de la guerre contre le Japon, que Ford filmât jadis). Le film, déjà assez noir dans ses premières minutes, s'enfonce peu à peu dans une obscurité totale, jusqu'à ce génialissime dernier plan qui engloutit définitivement son héroïne dans un fondu macabre. Il y a dans toutes ces scènes une dignité, une admiration, un respect, qui impriment littéralement la photo du film. L'émotion y est constante, décuplée par la mise en scène toujours aussi discrète et pourtant grandiose de Ford, qui fabrique des gros plans sur les visages qui leur confèrent vlcsnap_2009_12_14_20h35m36s4immédiatement une aura de légende, et qui les alterne avec des plans d'ensemble mettant merveilleusement en valeur le décor (fermé) de la tragédie. Tragédie il y a, et qui renoue même avec la grecque : un seul lieu, quelques personnages qui meurent, des sentiments éternels (le dévouement, la jalousie, l'héroïsme, la foi opposée à la science, l'expérience opposée à la croyance). La musique prodigieuse de Bernstein, qui se la joue à contre-emploi, jazzy et américaine en plein territoire chinois, vient ajouter une couche d'émotion là-dessus : on sort de ça exsangue, abasourdi par tant de beauté et de justesse, assassiné par le jeu de Bancroft (sa dernière phrase, suivie de cette expression de visage d'une tristesse ravageuse, n'importe quel cinéaste se damnerait pour trouver une telle force de plan), et beuglant comme un veau à la pensée que Ford est mort après cette ultime étincelle. Le plus beau film de la chrétienté.

Commentaires
A
Well, well... je fais décidément partie de la minorité à s’être faite un brin suer devant cette Frontière sino-californienne. Pourquoi ? L’impression d’un machin passablement figé, pesant, théâtreux, qui avance à 0,02 à l’heure et reste cantonné à son pauvre décor en papier-mâché de backlot MGM. <br /> <br /> Je ne mentionne pas les acteurs, en particulier Betty Field qu’on a envie de gifler de la première à la dernière seconde. <br /> <br /> Vous me direz, on voit à peu près tout cela dans Le bandit, que Brenno déprise mais que j’admire autant que nos deux baillis blogophiles et notre vénérable Hamsie: le dialogue abondant, la théâtralité épanouie, l’action réduite à peau de chagrin entre deux toiles peintes et trois chemins rocailleux... et pourtant, là, la magie opère à chaque instant – n’en déplaise à notre génial mâchouilleur de mouchoir qui m’a, du reste, plus d’une fois électrisé les vibrisses !<br /> <br /> Ceci dit, mon instinct me tarabuste pour que je file à nouveau rencard à ces 7 Women, un jour ou l’autre. Ford oblige, eh.
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H
On se retrouve sur ce coup-là. Pour une fois, n'ayons pas peu des superlatifs : le plus beau plan final du plus beau dernier film d'un des plus grands cinéastes.
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L
Avec l'âge, il devient carrément mon préféré de Ford. <br /> <br /> C'est génial qu'il ait achevé le job avec ce film-là.<br /> <br /> J'aurais aimé qu'Alfred en fasse autant.
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