One A.M./One P.M. de Jean-Luc Godard, D.A. Pennebaker & Richard Leacock - 1972
Une histoire assez obscure pour ce film, projet de Godard qui devait d'abord s'appeler One A.M. (One American Movie), avant d'être "achevé" par Pennebaker sous le titre One P.M. (One Parallel Movie ou One Pennebaker Movie, à vous de choisir). Achevé, c'est un grand mot, puisque le résultat est une succession de rushes et de plans de tournage un peu bordélique, mais qui donne tout de même une idée du projet godardien de base.
Godard aux States, c'est un peu comme Tintin en Amérique : un mélange de fascination et de posture légèrement hautaine. JLG traverse l'océan pour parler Révolution avec ceux qui la font et ceux qui luttent contre. Du côté des premiers, les Black Panthers, les groupes de rock, les intellectuels marxistes ; de l'autre, les flics, les capitalistes et l'armée. On pourrait croire la chose un peu schématique, mais le fait est que Godard arrive à laisser traîner sa caméra dans des endroits assez hallucinants qui lui donnent raison : un cours de propagande libérale par un gars déguisé en soldat dans une école, un happening musulman et complètement shooté en pleine rue, un concert improvisé des Jefferson Airplanes vite étouffé par les cops, JLG a l'art d'être là où il faut. On le voit d'ailleurs souvent saisi par la caméra, amusé par ce qu'il voit, et aussi légèrement candide et effaré. Il y a de très bons moments qui sont ainsi captés sur le vif par la caméra toujours agile de Pennebaker. Le filmage est dans ces séquences complètement improvisé, ainsi que le son, utilisant des zooms et des panos à l'arrache, et il en ressort un portrait de l'Amérique intéressant, contrasté, étrange.
On voit aussi souvent JLG au travail, en train de monter des scènes plus fictives, et ce sont vraiment les meilleurs moments du film. Un plan séquence vertigineux notamment sur un gars qui se contente de répéter en clamant un discours honteusement consensuel émis par une radio, le tout filmé dans un ascenseur puis en haut d'une tour de Manhattan, et c'est le côté farceur du Godard de La Chinoise qui ressort, ce mélange précieux d'intellectualisme abscons, d'expérimentation formelle et de gag premier degré. Autre plan remarquable : la cavale derrière une avocate d'affaires vantant les mérites du business, poursuivie par un Godard qui lui balance naïvement des questions à la con ("vous avez fait quoi hier soir ?"), un peu comme dans France Tour Détour. La séquence est rendue d'autant plus habile que la suivante nous montre le tournage de celle-ci, préparée avec précision avant que le bougre ne se fasse interrompre par le service d'ordre. Tout ce qui est ordre, le père Godard n'aime pas trop : il terminera avec un manichéiste parallèle entre le concert des Jefferson (interrompu par la police) et un défilé de musique militaire (encadré par la même police bienveillante). On se demande pourquoi le compère n'a pas terminé son film ; c'est peut-être parce que parler de révolution au milieu de l'enfer climatisé ne pouvait être qu'un échec ; mais c'est aussi sûrement parce que le projet manquait de netteté : ce qui reste de One A.M. montre bien souvent un Godard perdu, jouant au malin dans un monde qu'il connaît mal, communiquant difficilement avec les acteurs (la scène où il fuit devant un comédien en balançant des indications sybillines). Intéressant comme document, ou pour compléter une "odyssée godardoise", mais sur le sujet on préfèrera One+One.
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