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9 octobre 2009

LIVRE : Mars de Fritz Zorn - 1977

29027_gfVoilà typiquement le genre de livres qui m'attire a priori : une autobiographie en colère, un crachat à la face de la vie, tout comme ont pu l'être quelques autres de mes lectures de chevet, de Kierkegaard à Dagermann. Tout comme eux, Zorn est le produit typique d'une éducation bourgeoise dans la tradition : propre sur elle, discrète, hautaine, et hautement névrotique. Atteint d'un cancer, qu'il attribue d'ailleurs sans vergogne à ces "larmes rentrées" que lui a déclenchées cette éducation, il livre ces 300 pages crépusculaires et rancunières, une logorrhée pleine de dégoût du monde, de frustrations politiques et sexuelles, de douleur et d'amertume. Rien de bien gai, donc, mais un net sentiment révolutionnaire qui pointe là-dedans et qui fait la beauté des meilleures pages : Zorn a raté sa vie, le reconnaît, et insulte une dernière fois les responsables de ce ratage (ses parents, la Suisse, les bourgeois, la "tranquillité", le manque d'amour, Dieu et lui-même) dans une analyse précise et violente de sa vie.

Tout est là donc pour faire de Mars un acte purement dérangeant et brutal comme je les aime. Il y réussit souvent, au détour de quelques réflexions caustiques sur ses parents ou sur la société bien-pensante et réactionnaire dont il est le fruit. Toute la deuxième partie du livre sent vraiment le soufre, dans cette façon qu'a Zorn de mettre le doigt sur ce qui fait le plus mal, à travers quelques formules-slogans fulgurantes. On sent ce que l'auteur doit à Camus ou à Sartre, dans cette manière de faire passer le champ de la philosophie dans celui de l'écriture-étendard : mettre des mots sur sa colère, pour lui, c'est aussi créer des "maximes" (ou bien souvent des "anti-maximes") qui s'inscrivent définitivement, par leur audace stylistique, dans une esthétique presque publicitaire. On verrait bien quelques-unes des phrases de Mars figurer sur les pancartes de manifestants ou sur les tracts anarchistes, à commencer par cette phrase finale qui vous cloue le bec : "Je me déclare en état de guerre totale". Nul doute que le gars est pertinent, que son introspection va très loin, qu'il cherche vraiment à percer ce mystère qui a fait de lui un homme raté, qu'il enfonce profond le scalpel.

Mais malheureusement, sur la longueur, le livre apparaît bien vite comme la confession un peu agaçante d'un nanti nombriliste. Zorn a du mal à faire passer son expérience personnelle dans l'universel, et on tombe trop souvent dans des jérémiades répétitives qui ne concernent que lui. Bien sûr, sa douleur est terrible : le cancer, et le désespoir. Mais Mars apparaît trop comme une psychanalyse, certes sûrement utile pour lui, mais pas nécessairement pour son lecteur. L'écriture, trop délibérément complexe et touffue, vire au sophisme, le bougre éprouvant un grand plaisir à tordre ses phrases pour livrer des formules ; tendance fatigante, par exemple, d'écrire une maxime, puis d'écrire le contraire pour le simple plaisir intellectuel de la figure de style. Au bout du compte, et c'est un comble, Mars, qui aurait dû être un exemple de sincérité, devient un exercice de style roublard, et qui plus est pas très bien maîtrisé. Un peu comme ces blogs d'aujourd'hui où des gens très cultivés ratiocinent sur le sens de la vie et sur leur existence trop-pourrie-d'-occidental-gaté. Zorn est le premier à le reconnaître, ce qui est tout à sa gloire, mais n'en évite pas pour autant les pièges : son livre est le résultat de visites chez le psy, intelligentes, précises, édifiantes parfois, mais aussi un peu pitoyables, alors qu'on aurait voulu voir en lui un guide pour notre colère.

Le gars est mort de son cancer à 32 ans, alors que Mars venait d'être publié. On le regrette pour lui, on quitte son livre triste, intrigué, mais pas concerné ; le sentiment de révolte n'est pas passé. Jusqu'au bout, son existence aura été "insuffisante".

Commentaires
J
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un canular. Vraiment ce Zorn n'a jamais existé. L'inventeur c'est peut-être Adolf Musch, l'auteur du texte qui accompagnait la première édition. Ce canular est dû au contexte gauchiste des années 70, comme on le comprend très facilement.
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M
Culte chez moi, pourtant.
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