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28 septembre 2009

Courts-Métrages Turcs de Maurice Pialat - 1964

Intéressante petite série de 6 films de commande, qui emmène notre franco-français Maurice sur les bords du Bosphore. D'un simple exercice de documentaire, il parvient à la longue à dévier habilmeent sur une oeuvre poétique et intime qui marque vraiment des points. Il faut dire qu'à la caméra, y a pas la moitié d'un aveugle, en la personne de Willy Kurant, reporter de guerre et qui fait preuve ici d'un sens du cadre absolument parfait. Du coup, le petit côté touristique de la chose disparaît complètement au profit d'une certaine radicalité toute en sobriété, et on a bien l'impression d'être en face d'une oeuvre cinématographique en plein, là où on pouvait s'attendre à une séance de "Connaissance du Monde".

La_corne_d_orOn commence doucement avec Corne d'Or, premiers pas de Pialat dans Istanbul, peut-être le moins bon des courts. Curieusement dénué de toute présence humaine (si ce ne sont quelques silhouettes alibi), le film cadre au plus près des lieux que tout visiteur de la cité se doit de visiter : mosquées, rives du fleuve, rues étroites. Ce ne serait guère plus que ça si Pialat n'avait choisi une option qui renverse complètement la donne : en voix off, d'ailleurs très joliment utilisée par André Reybez, on entend un extrait d'un journal de voyage de Gérard de Nerval. On comprend vite que c'est vers la rêverie, vers la poésie, vers l'évocation que Pialat veut nous emmener, plus que vers l'objectivité du documentaire. Bien lui en prend : on sent dès ce premier film hésitant que Maurice est happé par ces ambiances et qu'il se dirige vers une contemplation intime des choses (ces très beaux plans larges qui embrassent tout un pan de la ville).

istanbulCa se confirme avec Istanbul, beaucoup plus réussi puisqu'il délaisse les bâtisses pour se rapprocher des gens. Ou plutôt : il s'efforce de placer les gens dans leur milieu. Pialat filme les petits métiers, encore d'un peu loin, encore timidement, mais avec déjà cette assurance que c'est là que réside la vraie beauté de la ville. Gendarmes excités aux coins des rues, petites gens désoeuvrés en goguette, vieillards ployant sous des montagnes de cagettes, magma des voitures : on tente le pittoresque, mais avec toujours cette voix off qui éloigne le film des simples images commentées. Superbe incursion dans le souk, qui rend parfaitement compte de l'atmosphère feutrée et "lascive" du lieu (oui, j'y suis allé), et jolies ballades dans les salons de thé au son de la musique orientale : le dépaysement est là, la plongée se fait plus nette, un style se met clairement en place.

ma_tre_galipMaître Galip est superbe, Pialat choisissant définitivement l'option "rêverie" et délaissant peu à peu l'ethnologie. Cette fois, le texte est local (de Nazim Hikmet), et il fait une grande part de la qualité du film. Les visages sont serrés au plus près, toutes générations confondues, et le texte de Hikmet fait la part belle aux angoisses intérieures des Stambouliotes (mot compte triple), qui sont bien sûr les mêmes que celles du reste de l'univers (chômage, mort, vieillesse). Surtout, le texte est à la première personne, ce qui nous rapproche encore de l'intimité recherchée par Pialat. On voit aussi, esquissée avec diplomatie, une scène d'excision assez effrayante sous la joie de la musique et des danses : deux mômes couchés dans un lit avec quelques jouets, entre effroi et rigolade, fixés avec fascination par la caméra de Kurant, qui ne fait qu'évoquer mais rentre de plain-pied dans les sujets délicats et sociaux. Toutes les générations sont là, avec comme point commun la pauvreté, l'angoisse et le questionnement. Poignant.

byzancePetit saut en arrière avec Byzance, moins intéressant. Cette fois, on se tourne vers l'histoire des guerres ottomanes, narrée un peu platement par Stefan Zweig. Si la technique s'affine, avec ces très souples travellings de plus en plus complexes qui se promènenet le long des ruines et des forteresses, on s'éloigne un peu du propos (dessiner la Turquie sous l'angle poétique) pour ne s'accrocher qu'aux faits. Pialat a beau essayer de convoquer les fantômes des armées en cadrant ces lieux déserts remplis d'Histoire, il ne parvient qu'à une vague évocation maladroite (ces bruits de bataille sur des lieux vides, mmm).

pehlivanPehlivan vient nous rappeler qui est la patron, et surtout que celui-ci a un sexe. Après les films quasi-mystiques, voici venir les rites les plus païens qui soient, et le fait est que Pialat excelle dans l'exercice de la sensualité exotique. Ca commence par 6 minutes hallucinantes sur un tournoi de lutte traditionnelle : des gusses taillés dans des troncs d'arbre s'enduisent d'huile et se jettent les uns sur les autres. Les corps luisent, les mains agrippent tout ce qui dépasse (suivez mon regard), les positions se font ouvertement sexuelles, Chéreau a dû apprécier. Le film rend parfaitement compte du côté sulfureux de la chose, épousant les rythmes du combat dans une sorte de danse lascive troublante : d'abord des corps fatigués, en attente, l'un sur l'autre, attendant la faiblesse de l'autre ; puis une soudaine violence fulgurante, que Pialat monte sur une musique tonitruante. On quitte ensuite Têtu pour aller faire un tour chez Playboy : la cérémonie se conclue par des donzelles avec moins que rien de costume, qui se dandinent gaiement en agitant des nibards à peine couverts et en ondulant des hanches que c'en est un scandale. C'est chaud comme la braise. Le plus drôle étant que le public contemple tout ça, lutte et strip-tease, avec le même flegme, qu'ils s'agissent de riches bourgeois, de femmes voilées ou d'enfants étonnés. Un court ouvertement sexués, qui se lâche méchament.

bosphoreEnfin Bosphore termine la série par la rêverie pure. En couleurs, le film flâne le long du fleuve, s'ouvre sur l'infini de la mer, au son de la belle musique de Delerue. Pialat oublie les faits pour cette fois, et c'est tant mieux : il se laisse aller à l'abstraction, à l'observation lente et intérieure de ces paysages splendides. Il revient même sur des lieux qu'on a déjà vus dans les autres courts, et les recadre de la même façon (mais en couleurs, donc), comme un bilan, un adieu. Le film y gagne une nostalgie qui fait son effet. Le dernier travelling est pialatesque en diable : cadrant d'abord un groupe de bateaux encore rattachés à la ville, il panote doucement pour cadrer le vide (la mer, avec cette légère brume très douce), puis s'arrête sur une barquasse toute seule dans l'immensité ; plan fixe, et le mot "fin" apparaît en minuscules. Pialat peut retourner à ses tourments (L'Enfance nue se prépare) ; il aura eu au moins son quart-d'heure de sérénité.

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