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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
23 septembre 2009

Playtime (1967) de Jacques Tati

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S'il y a un film qui mérite plus que tout d'être vu sur grand écran (tous OK, mais disons s'il y en a un particulièrement...), c'est bien Play Time de Tati, non seulement tant le moindre petit gag peut apparaître à l'un des quatre coins de l'écran mais aussi vu la plasticité remarquable des décors et l'agencement des sets. On se contentera de cette belle version dvd restaurée qui possède malgré tout un charme dingue. Quel film a su montrer avec autant de talent l'aliénation de notre glorieux monde moderne avec juste quelques lignes de dialogues, comme des bribes, du temps où le langage avait encore un sens ? Place au béton, aux grandes baies vitrées qui enferment plus qu'elles ne donnent de le la lumière, aux espaces cubiculaires qui isolent, aux sols nickels et glissants comme une patinoire, aux salles d'attente déshumanisées... Tati a mis dix ans pour parvenir à l'élaboration puis à la construction des décors, et si le film a ruiné notre gars, le spectateur en a, lui, définitivement pour son argent.

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Chaque détail est somptueux (des sièges mous qui font pfrrrtt aux chaises menaçantes du restaurant - quand les objets se vengent sur les hommes... - en passant par trois milliards de petits bidules tels que ce merveilleux balai qui s'allument lorsqu'il passe sous un bureau - extraordinairement inutile...) , millimétré, à l'image de ce monde qui fait du paraître la seule et unique valeur. Il faut "donner l'air" à tout prix, faire semblant (la Tour Eiffel ou Montmartre n'existent plus qu'en tant que reflets, ruines d'un monde ancien qui se désagrège), tout est fait "à la va vite" mais automatiquement utilisé, comme ce fabuleux restaurant qui n'en finit point de partir en lambeaux à mesure que la soirée avance. L'ultime séquence de ces voitures qui tournent indéfiniment en rond sur le rythme d'une musique de manège (clin d'oeil de Tati à lui-même) symbolise parfaitement cette époque sans queue ni tête où l'essentiel est d'avoir l'impression d'avancer, même si on finit par faire du surplace. Tati multiplie les faux Hulot, personnage presque interchangeable, ne cesse de faire se croiser et recroiser les individus dans cette dynamique du vide, s'amuse indéfiniment des inventions technologiques qui semblent surtout avoir été créées au final pour faire perdre du temps...

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Ce petit billet ne peut être qu'une ébauche superficielle de toutes les trouvailles du film, dans le fond mais encore plus dans la forme puisqu'il y a une idée visuelle, au moins, toutes les dix secondes. Un nettoyeur méchamment à l'affût de la moindre poussière qui traîne (le temps n'est plus à l'aspérité mais au lisse), une chaise sur roulettes qui va à trois mille à l'heure pour suivre les déplacements d'un agent à l'accueil de l'aéroport incapable de répondre aux clients qui se bousculent, des appartement divisés en quatre "images" de bandes-dessinées où malgré les murs qui les séparent se déroule une incroyable chorégraphie "interactive", tout cela filmé de l'extérieur comme quatre aquariums pour poissons humains, une femme sophistiquée tellement figée qu'elle en glisse sur le sol en se mouvant, un serveur de resto qui se prend pour un mannequin dans un défilé de mode (drôlissime avec son homard), des touristes américains éternellement à la recherche de ce qu'ils connaissent (de toutes façons, comme l'indiquent les affiches dans l'aéroport, toutes les villes modernes aujourd'hui se ressemblent)... Seule une pauvre vieille marchande de fleurs résiste, la dernière pointe de poésie dans ce monde aseptisé à outrance. Tati se serait fait une joie de filmer Shanghai, il n'aurait, en plus, pas eu à donner de directives de mise en scène - juste à planter la caméra à un carrefour... Je plaisante à peine. Du grand "cinéma".   (Shang - 18/06/08)

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Aussi désarmé que mon camarade pour évoquer la force que dégage ce film : il est strictement impossible de décrire Playtime, tant Tati utilise exclusivement les seuls outils du cinéma, sans emploi des mots, pour décrire l'enfer climatisé de nos belles sociétés modernes. Le film est effectivement visuellement prodigieux, un exemple de mise en scène inégalable, une démesure dans l'ambition qui ne va jamais à l'encontre d'une modestie totale du propos et des détails. Au sein du barnum le plus gigantesque, notre regard est toujours dirigé vers le plus petit personnage, vers le minuscule objet qui détonne. Hulot fait tomber son parapluie sur la surface brillante d'un sol d'aéroport, et on ne voit que lui, malgré l'immense cadre rempli de personnages ; une petite bonne femme remet son moche chapeau en place, et on reste accroché à elle, malgré les 11000 figurants qui traversent le champ. C'est prodigieux de voir comment, même au 8ème plan, tel ou tel acteur est dirigé dans la finesse, souvent vers le "rien" d'ailleurs : juste une traversée d'écran d'un petit mec, juste une démarche rigolote, parfois un simple détail de costume, tout ça forme un écheveau de gags minimalistes dont la plupart échappe tant le regard est ample.

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Tati décrit certes la froideur futuriste des grandes cités mondiales, toutes strictement identiques d'un pays à l'autre ; il décrit certes ce cauchemar de propreté et de lignes droites que sont en train de devenir les villes ; mais il profite de ce discours critique pour lui opposer une poésie à l'ancienne, tout le sel du film consistant à repérer dans l'écran le détail qui n'est pas à sa place, le personnage inadapté, la trace d'un passé qui s'efface mais lutte encore pour revenir à la surface. Finalement, Playtime n'est pas si pessimiste : on y voit des tas d'éléments en résistance contre la globalisation : une fleuriste, une chanteuse réaliste, un amour naissant, une baie vitrée qui explose, une dalle qui se décolle, un décor qui s'effondre, etc. C'est plus sur ces "défauts"-là que Tati s'attarde, en vrai partisan d'une vie simple et mal rangée. C'est toute la grandeur de cette mise en scène, qui commence par nous servir des lignes parfaitement droites, des alignements de touristes suivant des parcours soigneusement mathématiques, pour mieux nous montrer comment la courbe, le cercle, viennent polluer cet ordre établi. Démarrant dans les gris métalliques et les transparences des bureaux, le film nous emmène dans le chaos de la danse, dans la couleur, dans le bruit. Le dernier décor (un restaurant select tout en angles droits) se détruit et finit par ressembler à un Mondrian éclaté, et c'est seulement quand ce désordre est trouvé que la rencontre (l'amour ?) peut avoir lieu entre Hulot et la touriste américaine. Ils se sont croisés 5 ou 6 fois au cours du film, mais c'est là, au bout de la nuit, quand tout a explosé sous la force du gag et de la poésie, que quelque chose est possible.

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Tati réussit un exploit sidérant, celui de rendre compte d'un délitement de la société (à travers son architecture surtout) tout en poursuivant l'oeuvre entamée avec Jour de Fête. Balancer Mr Hulot dans la société moderne : voilà la preuve que le cinéaste est profondément ancré dans son monde, qu'il regarde avec une tendresse infinie. Il parvient même à trouver de la poésie dans ces cadres froids (les réverbères comme denier remparts de la beauté), et entre en résistance : jamais la ville ne parviendra à annuler le sentiment, la simplicité des hommes, leur maladresse et leur beauté. Profondément émouvant sous le concept gigantesque, Playtime est un grand film sentimental.   (Gols - 23/09/09)

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Commentaires
M
Incidemment, j'apprends qu'il est aussi apparu dans un Riccardo Freda sous le nom de Peter Balkany. <br /> <br /> Le temps fait passer le voile du grotesque sur tout ça, s'pas.
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M
Justement, comme vous dites, dans le genre "petit gag dans un coin de l'écran"(mais je crois pas que Tati savait que ça deviendrait un gag) : <br /> <br /> Dans la scène (dernier tiers du film) de la boite où l'on danse, le plan avec un couple, l'homme qui se déhanche, de face, c'est ... Patrick Balkany. <br /> <br /> Faut avouer, il levallois bien.
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