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15 septembre 2009

Rendez-Vous à Bray d'André Delvaux - 1971

vlcsnap_2009_09_15_19h04m03s104Après l'intrigant Un Soir Un Train, Delvaux continue dans le même souffle, et livre avec Rendez-Vous à Bray un autre exemple de son goût pour le mystère et l'opacité. Cette fois, c'est une adaptation de Gracq, et la première chose qui saute aux yeux, c'est la réussite totale pour ce qui est de recréer les ambiances gracquiennes : forêts grises prises dans le brouillard, froid presque palpable à l'écran, mélange raffiné entre érudition intellectuelle et minéralité, érotisme feutré... tout y est. Le film est d'abord un film d'atmosphère, qui prend son temps pour raconter la nature, avant le récit. La science impressionnante des cadres est pour beaucoup dans cette réussite : scientifiquement pensés, ils sont assez géniaux sous leur apparente simplicité. Delvaux sait toujours où placer sa caméra, englobant discrètement un objet en amorce pour mieux contrebalancer un motif de l'autre côté de l'écran (le superbe plan avec une amphore en pierre à gauche, un arbre solitaire à droite, et le personnage qui marche de l'un à l'autre), plaçant ses acteurs dans une lente chorégraphie dirigée par le cadre et lui seul. Il arrive même à trouver, dans cette vlcsnap_2009_09_15_22h18m56s34sobriété, quelque chose du classicisme des portraits d'un Rembrandt (dont un tableau apparaît d'ailleurs en arrière-plan), sans jamais pour autant perdre cet aspect très étrange qui le rapproche, cette fois encore, du naturalisme fantastique de Magritte. C'est bien à la peinture que Rendez-Vous à Bray fait penser, une peinture dans la grande tradition flamande. L'érudition est partout, puisqu'il s'agit aussi d'une histoire de musiciens raffinés, jouant du Brahms dans les intérieurs ouatés des salons fin de siècle, et de leurs rapports opaques faits de domination, d'amour et de soif de liberté.

On est en 1917. Julien, jeune pianiste, est invité par son ami Jacques, compositeur pointu, dans sa villa de Bray. Leurs rapports se sont éloignés depuis la guerre, et ils restent sur une impression de séparation mal assumée, de rapports parfois conflictuels sans qu'aucune cause réelle ne soit mentionnée entre eux. Mais Jacques ne viendra pas au rendez-vous, et Julien passera une journée à l'attendre, sous la présence mutique d'une servante (Karina, en forme). Tout cela restera très vlcsnap_2009_09_15_22h22m56s133opaque : pourquoi la servante pleure-t-elle seule dans sa cuisine ? Où est passé Jacques ? Est-il mort ou s'amuse-t-il à tourmenter son ami ? Sous le signe inaugural d'un journal rempli de blancs (la censure de l'époque), le film jouera sur ces trous jamais remplis, sur l'impression plus que sur l'explication. Le message adressé au spectateur est simple : faites votre histoire, imaginez ; moi, je ne donne que quelques scènes, quelques indices... Joli jeu du chat et de la souris entre le cinéaste et son public, représenté concrètement à l'écran par ces situations étranges entre la servante et le pianiste.

A coups de flash-backs et de retours dans la villa, Delvaux dresse un écheveau de séquences comme autant de pistes possibles, qui ne débouchent finalement que sur encore plus de mystère. C'est qu'il travaille sur le mystère du cinéma, sur cette fascination qu'il exerce, sur l'innocence naïve qu'il demande au spectateur. La plus belle séquence montre Bulle Ogier (géniale) vlcsnap_2009_09_15_19h34m31s210hypnotisée par un écran de cinéma sur lequel on projette Fantomas de Feuillade. C'est ce lâcher-prise-là que semble demander Delvaux à son spectateur, une acceptation sans nuance de la Magie Cinématographique. Son jeu sur les rythmes, sur le temps (le long plan très drôle où Ogier est confrontée à une aile de poulet servie dans une réception : presque rien mais hilarant et fascinant) confirme cette impression : le film ne lâche rien d'inutile, se contente d'accompagner un regard et une imagination, celle de son public, pour l'amener à créer sa propre histoire, son propre film. Conceptuel, risqué (c'est parfois un peu chiant), mais primordial à l'heure où le consommateur de ciné est souvent pris pour un ado attardé à qui il faut tout expliquer.

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