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Shangols
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15 septembre 2009

Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa - 2009

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Rares sont les détours de Kurosawa en-dehors du genre fantastique, et c'est bien dommage : avec Tokyo Sonata, il livre un de ses plus grands films, somme de toutes ses inspirations, de tout son passé à explorer ce qui fait une atmosphère, mais aussi renouvellement de son regard. Il reste soigneusement à l'écart de ses histoires de fantômes, et pourtant réalise un de ses films les plus étranges, les plus fantomatiques, où l'atmosphère est la plus déviante.

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On n'attendait pas forcément KK dans ce thème-là : la famille moderne, ce qui la soude, ce qui la détruit, ce qui en fait l'entité en même temps que la somme d'individualités difficilement liables. Le gars avait déjà exploré le couple, l'amour, la société contemporaine en tant qu'anéantisseur de sentiments ; ici, il réunit toutes ces inspirations. Sa famille est constituée de quatre membres tous aussi abandonnés les uns que les autres : le père a perdu son boulot et recherche vainement une fierté masculine détruite ; la mère est une douce femme au foyer en mal d'évènements ; l'aîné des fils rêve de quitter le petit carcan familial (et le Japon par la même occasion) pour sauver le monde ; et le plus petit est un prodige du piano brimé par les adultes. Rien que de très ordinaire, finalement. Pour filmer cette lente déréliction carverienne, Kurosawa utilise son savoir-faire incroyable pour tordre légèrement la normalité, lui donner une texture à la limite du fantastique. Infiniment, délicatement, il choisit toujours l'angle de caméra qui va occulter les motifs principaux, qui va donner un axe bizarre à ses scènes quotidiennes, qui va les plonger dans une curieuse atmosphère. C'est pas grand-chose : un peu de vent dans un rideau, une lumière artificielle qui tombe sur un visage, un escalier au premier plan qui cache les personnages, un travelling inattendu quand on attend la coupe, un cadre un peu trop large qui inscrit une action dans tout un univers... mais ce "presque rien" suffit à donner à l'univers de Tokyo Sonata une angoisse diffuse, mélange de douceur ouatée et de violence sans cri.

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On ne cesse d'être bluffé par ces milliers d'idées minuscules, avec l'impression que Kuro est toujours à la bonne place pour nous induire sa vision. Difficile d'ailleurs, de mettre des mots sur cette vision. C'est la marque de Kurosawa depuis Licence to Live : ne pas expliquer, ne pas souligner, laisser faire le montage et les cadres, et laisser réfléchir le public face à ce récit plein de trous. Sûrement plus explicite pourtant que nombre de ses films (on pense souvent au brumeux Vaine Illusion), celui-ci manie encore une fois le mystère, préférant évoquer par petites touches plutôt que de montrer plein cadre, se méfiant du symbole comme de la peste. Et pourtant, jamais on ne tombe dans le concept froid : Tokyo Sonata est d'une émotion poignante. A travers cette vision glacée de la société contemporaine (qui depuis Carpenter a su aussi bien filmer les villes modernes ?), à travers ces portraits pudiques d'êtres abandonnés en son sein, à travers ces rêves brisés et ces vies gâchées, le film développe une trame infiniment subtile, triste malgré l'humour, japonissime malgré l'originalité du regard.

tokyo_sonata

Quant aux acteurs, ils sont parfaits, toujours à cheval entre le ridicule et la grandeur, autre marque reconnaissable entre toutes de KK. On retrouve d'ailleurs avec plaisir l'acteur fêtiche, Kôji Yakucho, toujours aussi superbe dans ce mélange de violence et de clownerie. Kurosawa place tout ce petit monde au sein du grand vide de Tokyo, et que ce soit dans les sublimes scènes d'intérieur familial ou dans les séquences non moindres d'extérieur, il sait toujours faire pénétrer l'image du cosmos dans les décors les plus banals ou les situations les plus triviales. Kuro est définitivement au sommet de son art, et a su en un seul film additionner toutes ses inspirations : étrangeté, originalité du dispositif, terreur du monde, douceur zen et humour. Le film de l'année ?  (Gols 08/08/09)


PosterTokyoSonataLe film de l'année, dit-il pour enchaîner, eh bien c'est fort possible tant Kurosawa, avec un soin minimaliste  éblouissant, semble parvenir à concentrer au sein de cette petite famille toute la misère du monde. La crise mondiale s'abat de plein fouet sur le Japon et notre pauvre père de famille d'aller de son propre chef vers la porte de sortie de son taff. Il rejoint la cohorte des exclus où désormais les gens cravatés se fondent avec le lot classique des SDF. Notre homme n'ose même plus rentrer chez lui par la porte principale comme s'il avait l'impression d'être devenu un bandit dans son propre foyer; est-ce le résultat de son aura négative ou les temps qui sont ainsi, mais il est clair que l'atmosphère générale à table est plus calme qu'une réunion de carpes. Chacun dans son coin ronge son frein comme si l'individualisme avait fini par triompher jusque dans la maisonnée : la maîtresse de maison gagnée par l'ennui passe ses journées lardée sur le canapé; le fils aîné semble vouloir tourner la page de soixante ans d'Histoire au Japon en s'engageant volontairement dans l'armée américaine, "symbole de la paix" dans le monde (blurp); quant au petit dernier il traîne sa mélancolie auprès d'une prof de piano dont la douceur va parvenir à extraire en lui la plus belle des mélodies... Heureusement, parce que chez lui, il s'en prend plein la tronche comme s'il était devenu la cible de toutes les frustrations paternelles. Les errances de ces personnages en perte de repères vont prendre une autre dimension avec l'arrivée soudaine d'une "vague" de violence : la mère est sauvagement kidnappée chez elle (alléluia, enfin un peu d'action, peut-on presque lire dans son regard...), le père après "une longue fuite en avant" est à deux doigts de se faire écrabouiller par un van et le benjamin de se retrouver dans une misérable prison pour avoir voulu se barrer dans un bus sans payer... Comme par enchantement, chacun va peu à peu reprendre le chemin de la casa comme si Kurosawa voulait conclure sur une "note" positive, comme si après ces diverses expériences extrêmes, chacun était plus à même d'accepter, d'apprécier (...?) sa petite place au foyer. Comme le soulignait l'ami Gols, c'est filmé toujours au millimètre (dans la grande tradition nippone, certes, depuis Ozu - osons la référence) et l'on sent peu à peu l'angoisse monter en chacun des personnages perdus dans ces décors urbains sans âmes où la pauvreté loqueteuse semble avoir balayé la dynamique d'antan. Un vrai petit joyau contemporain plein de rigueur et d'un humour à froid (la tronche du pater ,en général, et son attitude, en particulier, devant une cuvette de toilette dégueulasse...) faisant de Kiyoshi un des cinéastes actuels les plus passionnants.  (Shang  15/09/09)

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