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3 juin 2009

Harry dans Tous ses Etats (Deconstructing Harry) de Woody Allen - 1997

deconstructing_harryDès le générique de début, on est surpris par ce Deconstructing Harry : on n'a pas droit aux lettres blanches sur fond noir habituelles, mais à un plan hyper-découpé, qui revient 5 ou 6 fois, sans signification. Tout de suite après, cut, et on se retrouve dans un pique-nique buccolique qui se transforme en partie de jambes en l'air dans la cuisine, puis, cut, une scène de scène de ménage, puis, cut, un flash-back... L'Allenophile acharné a du mal à y retrouver ses petits : Woody change clairement de mise en scène, dans un séisme stylistique assez proche de ce que furent Stardust Memories ou Husbands and Wives en leurs temps. Et puis, doucement, par minuscules touches, on se surprend à rentrer avec facilité dans cette nouvelle musique, et on se rend compte que la métamorphose n'est pas si radicale que ça. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, ce Woody est une pure merveille d'introspection, qui mèle en un seul mouvement les hantises les plus profondes du compère avec ses vannes, sa veine comique avec son goût pour le mélodrame.

deconstructingharry1Il s'agit de dresser le portrait d'un homme, Harry Block, écrivain nombriliste et assez odieux, obsédé sexuel, juif refoulé, égoïste indécrottable. Pour ce faire, Woody choisit une construction hyper-complexe, en forme de puzzle presque warholien. Les angles d'attaque sont innombrables : scènes dans le présent, flashs-back, insertions de fiction dans la vie de Harry, fantasmes, cauchemars, avis des autres personnages, extraits de ses livres... Tout est bon pour attaquer le personnage, le polir, et dessiner en prenant tout son temps ce caractère névrotique et associal. La mise en abîme est déjà vertigineuse quand on se rend compte que la création fictionnelle de Harry le décrit bien mieux que sa vie concrète, et quand ses personnages de papier se mettent à pénétrer dans son quotidien ; mais elle le devient encore plus quand on se rend compte qu'avec ce film, Woody réalise son autoportrait le plus amer, celui d'un homme qui ne vit plus que par l'art, dont la vie sociale et affective est 011943423jw0définitivement médiocre. Il y a une grande honnêteté dans ces scènes qui ne lui épargnent rien, notamment sur ses frasques sexuelles obsessionnelles (il fait une fixation sur les pipes qui finit par étonner), sujet courageux quand on connaît la biographie de Woody sur ce chapitre. Même s'il s'en tire souvent par l'humour, même si au final Harry est un personnage attachant et pardonnable, l'auto-critique est sévère, et dépressive.

La construction vertigineuse du scénario va de pair avec la mise en scène : ce système de plans morcelés qui rayent plusieurs séquences dans leur déroulement, qui donne l'impression d'un disque qui saute ou d'un film abîmé, est magnifiquement trouvé. Il coupe les répliques, et se permet même d'annuler les fameux bégaiements de Woody (qui sont encore très nombreux, rassurons-nous) ; il permet surtout d'augmenter cet aspect puzzle, cette violence dans la frontalité du deconstructing_harryportrait, et charge le film d'une urgence superbe. D'autres scènes sont plus classiquement alleniennes, dans ces vastes travellings élégants qui longent les décors d'intérieur, dans ces plans-séquence qui laissent toute leur place aux acteurs (distribution impressionnante d'ailleurs, avec toujours l'immense Judy Davis dans une scène d'anthologie), dans ce montage au taquet qui amène une vie magique dans les "petites" scènes quotidiennes (le voyage en voiture avec un môme, un cardiaque et une pute). Et puis il y ces grandes idées que sont l'homme flou (Robin Williams, qu'on ne voit jamais net, il fallait se le permettre), la Mort qui vient chercher le mauvais mec, la visite en enfer, ou le final fellinien dans lequel Harry rencontre tous ses personnages de fiction en chair et en os. Derrière la façade de comédie, Deconstructing Harry est bouleversant, non seulement parce qu'il est d'une intelligence de forme et d'écriture que Woody a rarement atteinte, mais aussi parce qu'on y voit un artiste face à lui-même, et finissant par accepter tristement ses faiblesses. Le dernier vrai grand Woody ?

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